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Notre ennemi intime : le soi impérieux

Nous poursuivons notre série d’articles sur le Cantique des Oiseaux de Attar, un ouvrage riche d’enseignements utiles à une démarche spirituelle. Pour plus d’information sur l’oeuvre et son auteur, vous pouvez vous reporter au premier article de la série : « Le rossignol et la rose : de l’attachement au renoncement ».

Nous nous intéressons cette fois-ci à notre plus intime ennemi : le soi impérieux, qui fait partie de nous-même. Voici comment Attar le présente…

Récit 2 – Notre ennemi intime : le soi impérieux

Un autre oiseau lui dit : « Mon ennemi intime
Est mon soi impérieux, comment puis-je avancer
Avec un tel brigand au cœur même de mon être ?
Car ce soi impérieux est un chien insoumis
Comment lui échapper, comment sauver ma vie ?
Apprivoiser le loup dans la plaine, je sais
Mais je peine à dompter en moi ce chien rebelle
Me voilà stupéfait devant cet infidèle
Qui m’est si familier, pourtant si étranger ! »

La huppe répondit : « Mais ton soi impérieux
À la fois louche et borgne, chien oisif, idolâtre
T’a su si bien tromper par ses ruses flatteuses
Qu’il t’a foulé aux pieds comme une boue vulgaire
Quand on flatte ton ego en usant de mensonges
Tu es tout ébloui par ces mensonges vils
Et il y a peu d’espoir que ce chien ne s’amende
Puisque tous ces mensonges l’engraissent tant et plus
Le début de la vie n’est que du temps perdu
Inconscience infantile, faiblesse, insouciance
Le milieu de la vie t’aliène à toi-même
Et la jeunesse passe en folies incessantes
Et puis quand vient la fin, quand la vieillesse arrive
L’âme devient sénile, le corps faible et débile
Lors d’une telle vie, tout ornée d’ignorance
Comment ce chien en toi peut-il se purifier ?
Si tout n’est qu’insouciance du début à la fin,
Que récolterons nous de la vie ? que du vent ?
Ce chien a dans le monde nombre de serviteurs
Et pourtant qui voudrait être esclave d’un chien ?
Être est un grand malheur avec cela au cœur
Car le soi impérieux est un enfer brûlant
Tantôt un feu liquide de désirs charnels
Tantôt un froid de glace et d’apathie mortelle
Oui, c’est bien tout cela, les délices de l’Enfer
Cette double nature : feu et glace mêlés
Innombrables les cœurs qui sont morts de chagrin
Mais ce chien infidèle, hélas, jamais ne meurt ! »

(Farîd od-dîn ‘Attâr, Le Cantique des oiseaux, trad. Leili Anvar, Diane de Selliers Éditeur, 2012, distiques 1977 à 1995)

Quelles leçons tirer de ce récit ?

Cet échange entre un oiseau et la huppe fait partie de la série d’échanges qui constituent l’essentiel du Cantique des oiseaux. Lorsque la huppe, qui figure le guide spirituel, propose aux oiseaux de partir pour aller retrouver leur Origine, la majesté souveraine des oiseaux qui s’appelle Sîmorgh, les oiseaux sont enthousiastes. Mais très vite, ils se rendent compte que ce chemin sera long et difficile et ils se mettent à donner des excuses pour ne pas se mettre en route. Ces excuses sont pour certaines, « d’en-bas » (comme celles qui concernent les attachements terrestres) et pour d’autres « d’en-haut » (qui relèvent des ruses les plus subtiles du soi impérieux et mettent en jeu des arguments pseudo-spirituels). Ici, l’oiseau en question semble d’une certaine façon se connaître un peu puisqu’il a décelé en lui-même la présence de cet « ennemi intime » qu’est le soi impérieux. Mais le problème est qu’il ne sait pas comment lutter contre lui. Il donne même l’impression que le constat de la force du soi impérieux et de sa propre faiblesse est sur le point de l’amener à baisser les bras. C’est une ruse subtile du soi impérieux que la huppe, oiseau de guidance, va tenter de démonter afin de faire comprendre au voyageur spirituel qu’il doit lutter sans relâche et de manière radicale contre cet animal, en le voyant tel qu’il est, en cessant de le servir, en comprenant le mécanisme de ses ruses et en prenant conscience que vivre selon les désirs du soi impérieux, c’est vivre en enfer.

Notre soi impérieux, ce « chien rebelle » qui nous est « si familier, pourtant si étranger » est en nous une puissante énergie psychique produite par l’activité de nos points faibles caractériels, qui s’oppose activement à notre perfectionnement spirituel. Il est rusé, il nous dupe, nous pousse à l’insouciance, flatte notre ego… Il peut ainsi prendre des formes très variées pour développer nos pulsions illégitimes et nourrir nos dysfonctionnements caractériels.

Bien souvent, peut-être même quotidiennement, nous nous laissons guider et emporter par cette force négative qui vient de nous-même. Elle nous pousse à enfreindre les droits, les nôtres et surtout ceux des autres, à être agressif, mesquin, lâche, jaloux, malhonnête, etc. Nous sentons bien que si nous ne nous opposons pas à ce chien qui est en nous,si nous nous laissons aller à notre pente naturelle, il se renforce et finit par occuper toute la place, étouffant peu à peu notre âme et, par là, notre humanité. Car le soi impérieux est sans cesse à l’oeuvre, il ne s’arrête jamais. Il nous faut donc lutter, faire en sorte que la volonté de faire émerger le positif en nous soit plus forte que l’action permanente de ces pulsions qui s’agitent en nous.

Pour savoir comment lutter activement contre les injonctions de notre soi impérieux, il convient d’abord de faire un état des lieux. Pour ce faire, il faut d’abord passer par une phase de réflexion. Nous vous proposons ici des exercices dont l’objectif est d’identifier et d’évaluer en nous des manifestations de notre soi impérieux pour pouvoir dans un second temps faire appel à notre raison et notre volonté et établir un programme de lutte contre lui. C’est ainsi que petit à petit, nous pourrons restreindre son champ d’action et ses effets négatifs sur notre personnalité. Mais il ne faut pas oublier que c’est un travail de longue haleine et qu’il ne faut pas s’attendre à des résultats immédiats car sinon, comme l’oiseau du Cantique, nous serons tentés de baisser les bras après avoir simplement constaté sa présence et sa puissance.

N’hésitez pas à partager vos expériences et idées d’action contre le soi impérieux dans la section « commentaires ».

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image débuter activité - cantique des oiseaux

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7 commentaires

  1. A. le 10 Fév 2018 à 10:49 1

    Merci pour cet article.

    Cela tombe à point nommé pour moi. Je suis confronté à un nouveau scénario dans la vie professionnelle et quotidienne. Cela ne m’était pas arrivé auparavant, avec cette fréquence et intensité. Je fais l’objet d’attaques de gens qui me critiquent, ne croient pas à ce que je dis, me contredisent systématiquement sans même m’écouter etc..

    Je regarde mes réactions. Parfois j’abandonne sans essayer de me défendre, parfois je perds le contrôle et je deviens colérique. Et pourtant je me considérais quelqu’un de calme. Or, quand je me mets en colère, je perds aussi bien spirituellement que matériellement. Spirituellement parce que parfois je lèse des droits des autres, mais aussi car la colère est mauvaise pour mon âme (l’affaibit), et matériellement car me mettant en colère les gens qui m’écoutent ont encore moins confiance en moi.

    Nouveaux scénarios, nouveaux défis ! Il faut que je trouve une stratégie de lutte, qui devrait se résumer à : se contrôler et défendre ses droits avec détachement

    1. MH le 15 Fév 2018 à 0:24 1.1

      Comme je vous plains, A…
      Le milieu du travail est un bouillon de culture! Une vraie jungle où il est bien difficile de savoir comment agir – ou réagir…
      Continuer sa route, son travail, sans s’occuper de ce que les autres disent est une chose extrêmement périlleuse, mais se défendre avec véhémence n’est pas la bonne solution, c’est évident!
      Il vous faut absolument garder votre calme: c’est primordial! Avoir en tête la bonne attitude: celle d’un sage, qui se maîtrise…
      Bon courage, A.! Je vais prier pour vous…

  2. Mia le 13 Fév 2018 à 12:28 2

    Merci A. pour le commentaire. Problématique régulière dans la vie courante. Bonnes pistes de lutte. Bon courage à nous !

  3. blanche le 16 Fév 2018 à 16:32 3

    Merci pour ces situations très concrètes de la vie quotidienne proposées dans l’activité !
    mais dont le résultat montre que dans 9 situations sur 11, c’est le soi-impérieux qui domine en moi. Je me demande comme l’oiseau désespéré « comment puis-je avancer avec un tel brigand au coeur de mon être ? comment lui échapper ? ». J’ai conscience aussi d’une autre situation où je suis complètement dominée par mon soi impérieux et qui me désespère tout autant : c’est mon impossibilité, malgré mes résolutions de prier au moins une fois par jour, le soi impérieux trouvant mille bonnes raisons pour repousser le moment à une heure trop tardive de la nuit. C’est comme si j’avais perdu toute trace de volonté. C’est là où on voit que plus les bénéfices spirituels d’une pratique sont importants, plus le soi impérieux se renforce et nous domine.
    Donc, grâce à votre article et comme A, j’ai réfléchi à “une stratégie de lutte” que j’espère appliquer avec l’aide de Dieu. Sans oublier qu’une bonne gestion du temps de notre journée est déjà en soi un vrai travail spirituel.

  4. Wilhelm le 13 Mar 2018 à 19:50 4

    Quand on pense « Cantique des oiseaux », on imagine une allégorie poétique, jolie et confortable.
    Lorsque le soi impérieux y et comparé à un chien, le soi impérieux n’aime pas cela.
    Quand les mécanismes dévastateurs, rusés et terriblement efficaces du soi impérieux y sont décrits en détails, le soi impérieux déteste.
    C’est une indication que ce « Cantique des oiseaux » est une très bonne aide au diagnostic et un élément efficace et essentiel de lutte contre la force désarmante du soi impérieux.

  5. KLR le 21 Mar 2018 à 22:33 5

    Merci pour cet article et l’activité qui m’a permit de voir, que je suis la plupart du temps dominée par le soi impérieux. Mes efforts de lutte ne sont pas assez intenses : impatience, exigence…et surtout dès que je fais un petit pas en avant spirituellement, il y a une dégringolade qui suit avec une bonne attaque de soi impérieux. C’est assez systématique. Par exemple hier, j’ai réussi à garder à l’esprit mon but pendant la journée, et je me sentais un peu plus positive…Aie, juste après cela j’ai manqué cruellement de patience avec un élève alors que j’avais décidé de travailler sur ce point.
    Aujourd’hui j’ai voulu faire une visite à une dame âgée qui est seule, elle était contente, mais au cours de la conversation, je lui ai demandé des nouvelles de ses enfants alors que je sais que ses enfants ne l’entourent pas…Pourquoi avoir bêtement amener ce sujet, si ce n’est pour me mettre en valeur !
    Enfin ne désespérons pas demain, sera une autre occasion de lutte !

  6. DianePlaton le 28 Jan 2020 à 6:24 6

    La pensée d’Ostad Elahi est clairvoyante.

    Je constate néanmoins qu’il est souvent question de « lutte », sans savoir si c’est ce qu’Ostad Elahil préconisait lui-même ou s’il s’agit d’une interprétation des intervenants actuels.
    À mon sens, la lutte affaiblit en restant dans une guerre, une lutte est toujours ‘contre’ quelque chose alors que l’amour est ‘avec’. L’accueil – dans l’amour inconditionnel du soi, est l’ouverture à ce qui est, à cet instant et que nous voyons en comprenant pourquoi cela est. L’Amour divin est tout amour, il accueille tout et pardonne tout. Parce que le Divin est Un et Tout à la fois.
    L’Amour inconditionnel est le seul pouvoir que nous possédons en nous-même ( nous-m’aime) et que nous pouvons donner à tout ce qui nous compose.

    Si vous luttez, vous restez en guerre contre quelque chose de vous-même. Accueillez sans retenue tout ce que vous voyez en vous, sans vous blâmer, sans vous juger. Tout est déjà pardonné par la Source, il n’y a même pas de pardon, il n’y a qu’Amour ! Soyez cet amour pour vous-même. Quand vous vous accueillez dans l’amour, vous accueillez tous les autres vivants. Aimer, c’est aider. Aidez-vous et vous aiderez les autres.

    « le problème est qu’il ne sait pas comment lutter contre lui … », c’est confondre faire ( volonté de l’ego) et être ( dans l’amour, l’accueil de ‘soi-m’aime’, dans toutes nos parties, sans jugement. Il s’agit de faire la lumière sur toutes nos vérités intérieures que notre ego nous cache encore, pour que la Conscience voie et comprenne afin de pouvoir agir « en cessant de le servir ».

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