Qui est Ostad Elahi ?



La personnalité d’Ostad Elahi serait assez mal résumée si l’on se contentait de le décrire comme un ‘philosophe’. Sa grande culture théologique et philosophique (héritée de Platon et d’Aristote par l’intermédiaire de la philosophie arabe et de la gnose islamique) n’avait de sens pour lui que dans le cadre d’une réflexion éthique et d’une conduite de vie.
Prof. James W. Morris

Ostad Elahi, magistrat, musicien et philosophe, naît dans le Kurdistan iranien en 1895. Durant sa jeunesse, il mène une vie ascétique et contemplative, puis, à partir de l’âge de 24 ans, il abandonne progressivement ce mode de vie qu’il juge inadapté à son temps : il entreprend des études et décide de mener désormais une existence active au sein de la société. Devenu magistrat, il contribue, par son engagement professionnel, au vaste mouvement de sécularisation de la société iranienne. Cette trajectoire est inhabituelle parce qu’elle prend à rebours les formes courantes de la conversion : il ne s’agit pas de se retirer du monde ou de faire retour à un mode de vie traditionnel, mais au contraire de porter sur le terrain de la vie moderne et de développer sous une forme neuve les principes actifs contenus dans les sagesses anciennes. Ostad Elahi est en même temps un musicien accompli : ses compositions et interprétations révolutionnent l’art du tanbur, et sa réputation lui vaudra plus tard d’être considéré comme un maître (Ostad) de cet instrument. En 1957, il prend sa retraite : il peut désormais se consacrer exclusivement à la musique, à la recherche et à l’écriture. La pensée de l’éthique et du perfectionnement spirituel qui recueille le fruit des expériences de toute une vie trouve son expression dans la rédaction de plusieurs ouvrages de nature théologique et philosophique. Il s’éteint en 1974, à Téhéran.

Tradition familiale et contexte religieux

La famille d’Ostad Elahi appartient à une longue lignée de mystiques remontant au XIVe siècle et dont la tradition religieuse, l’ordre des Ahl-e haqq, est une branche de l’islam comparable au soufisme. Son père, Haj Nemat, était un lettré, auteur, entre autres, d’une remarquable œuvre poétique, Le livre des rois de la Vérité, qui fut publiée dans les années soixante par Henry Corbin, qui y voyait « toute une Bible ». Haj Nemat était une grande figure de l’ordre Ahl-e haqq ; il était considéré comme un saint homme et jouissait d’une forte aura dans sa région natale du Kurdistan iranien. La tradition Ahl-e haqq a constitué pour Ostad Elahi un sujet d’étude important. Son père en avait déjà entamé un examen critique en stigmatisant les dérives mercantiles qui s’étaient développées avec le temps, comme il arrive souvent dans les ordres religieux. Ostad Elahi a achevé ce travail avec une somme théologique dans laquelle il extrait et met en lumière les aspects proprement éthiques et spirituels de cette tradition. Tout en établissant les principes, croyances et rituels originels à partir de fragments de textes anciens et d’éléments de tradition orale il procède à une remise en cause des formes instituées de la relation entre fidèles et chefs religieux, au risque de mettre en péril les intérêts matériels des familles qui avaient fait de leur position au sein de cet ordre une source de profit et un enjeu de pouvoir.

Pour en savoir plus sur la vie et l’œuvre de Hajj Nemat, consulter Hadjnemat.com

Le développement d’une pensée originale

Au-delà de ce travail d’érudition critique, Ostad Elahi a mené une réflexion philosophique, morale et spirituelle qui dépasse largement les cadres culturels dont il est issu et dont un des aspects les plus frappants est de rompre avec l’orientation ascétique et contemplative caractéristique des formes classiques du mysticisme.

Ouvrages et recueils

Ostad Elahi a donné un aperçu de sa philosophie spirituelle dans deux ouvrages principaux : un petit traité sur l’âme, et un essai sur l’œuvre poétique de son père. Cependant, c’est essentiellement sous la forme d’un enseignement oral, dispensé de façon informelle à un nombre relativement restreint d’amis ou de membres de sa famille, qu’il a exprimé l’essentiel de sa réflexion et livré les résultats concrets de son expérience spirituelle et éthique. Une partie des notes prises par son entourage ont été rassemblées par son fils Bahram Elahi et publiées sous la forme de deux recueils qui, dans un langage simple et direct, mêlent anecdotes et réflexions, maximes et récits d’expériences vécues, exégèses de doctrines spirituelles ou philosophiques, etc. Cet ouvrage, qu’on pourrait comparer à certains égards aux Confessions de Saint Augustin ou aux Expériences de vérité de Gandhi, a rencontré un véritable succès en Iran, où il a connu de nombreuses rééditions.

Un humanisme ancré dans le concret

L’originalité de la pensée d’Ostad Elahi tient à la manière dont elle articule des problématiques proprement spirituelles ou eschatologiques (perfectionnement, salut de l’âme) avec les problématiques éthiques de la vie quotidienne. Ostad Elahi a en effet élaboré sa pensée à partir de son expérience personnelle, et il en a appliqué en retour les principes directeurs aussi bien dans le domaine privé que dans la sphère professionnelle. À cet égard, sa réputation de probité et son dévouement à la cause de la Justice dans un milieu où la corruption et le trafic d’influence étaient inscrits dans les mœurs témoignent des effets concrets de sa pensée. L’action qu’il a menée en faveur des orphelins durant toute sa carrière est un autre témoignage de son engagement. Ainsi, loin de se cantonner au discours théorique, la pensée d’Ostad Elahi demeure ancrée dans le concret ; elle définit les conditions pratiques d’un humanisme en acte.

Pour en savoir plus sur la vie et l’œuvre d’Ostad Elahi, consulter ostadelahi.com

La philosophie d’Ostad Elahi

Processus de perfectionnement et vision éthique de la religion

L’approche concrète des problèmes éthiques pouvait en l’occurrence s’appuyer sur un système complet de principes et de concepts où la notion du droit tient une place fondamentale. Selon Ostad Elahi, chaque esprit a vocation à se réaliser selon toutes ses dimensions : c’est là son droit fondamental. Mais pour que ce droit devienne effectif, il faut parvenir à connaître l’esprit dans sa vraie nature. C’est pourquoi les principes philosophiques et théologiques qui sous-tendent la pensée d’Ostad Elahi sont eux-mêmes étayés sur une théorie psychologique du fonctionnement de l’esprit et du psychisme. La vision d’Ostad Elahi est celle d’un monde animé par un processus de perfectionnement permanent, qui concerne l’ensemble de l’univers et au premier chef la dimension spirituelle des êtres (qu’on l’appelle « esprit » ou « âme »). Elle fait ainsi écho aux grands systèmes philosophiques hérités de la tradition grecque via la philosophie arabe et persane. Dans cette vision, la vie humaine s’inscrit comme un cycle d’apprentissage et de développement. Il appartient à tout être humain de cultiver en lui son humanité véritable, de travailler à « se rendre immortel autant qu’il est possible », pour reprendre le mot d’Aristote, par la pratique assidue de l’éthique : c’est elle en effet qui permet au soi de se développer sainement et de porter à la perfection toutes ses virtualités. Cette pratique doit cependant s’inscrire au sein de la société, dans le cadre d’une vie normale et équilibrée, tout en encourageant le développement d’une relation personnelle et intérieure au divin, c’est-à-dire à une transcendance qui, d’un point de vue pratique, peut être conçue comme le moteur ou la source d’énergie qui alimente et oriente toute la démarche spirituelle. La pensée d’Ostad Elahi se réclame en cela du message qui constitue la « quintessence » commune aux grandes spiritualités. Ce message commun est indépendant des aspects rituels spécifiques des différentes traditions religieuses. Tout en prônant un respect profond de toutes les croyances, Ostad Elahi énonce en effet pour le développement de l’âme un principe de primauté de l’éthique sur les dogmes traditionnels. Les valeurs ultimes sont l’altruisme et l’attention, c’est-à-dire la recherche permanente et sincère du comportement, de la parole, de la décision la plus juste — celle qui prend en compte les droits de tous les êtres.

L’éthique comme base de la pratique spirituelle

L’éthique, dans son sens le plus fort, constitue le cœur de la pensée d’Ostad Elahi : tout engagement qui n’aurait pas comme base fondamentale la pratique de l’éthique ne saurait en ce sens être qualifié de « spirituel ». Dans ce cadre, ce qu’Ostad Elahi appelle « l’attention à la Source » constitue l’un des facteurs fondamentaux permettant à la pratique éthique de s’inscrire dans la durée : en développant une relation intérieure quotidienne à une référence transcendante, divine, l’être humain suscite en lui un désir du Bien et le rend apte à concentrer une énergie qui lui permet de maîtriser progressivement et efficacement les émotions et les pulsions qui le portent à nuire aux autres autant qu’à lui-même. Mais l’attention est elle-même inséparable d’un processus de maturation cognitive (« connaissance de soi ») qui consiste à développer activement son entendement spirituel pour parvenir à une compréhension de plus en plus aigue des mécanismes qui gouvernent le soi, à travers notamment nos pensées et nos émotions. L’éducation de sa propre pensée par le moyen de principes sains et opérants est bien entendu la condition d’un tel développement cognitif. L’insistance qui est mise sur cette dimension proprement rationnelle de la transformation de soi s’exprime par une dévaluation de l’orientation ascétique d’un certain nombre de discours spirituels. Car il ne s’agit pas de mortifier la nature animale en l’homme en annihilant la source même des pulsions, mais plutôt de transmuter sa propre substance en composant un équilibre subtil entre les deux pôles, céleste et terrestre, qui constituent le soi. Ce travail de mise au point consiste, concrètement, à transformer qualitativement des traits de caractère instables (points faibles) en vertus réelles et durables. La vie terrestre, incarnée, trouve là sa véritable justification : elle n’est ni une punition, ni un horizon ultime pour l’homme ; elle est un terrain d’opération, une matrice dont il doit tirer le meilleur pour faire mûrir son soi. D’une manière générale, Ostad Elahi considère que la recherche d’états modifiés de conscience ou de « pouvoirs surnaturels » relèvent d’« amusements spirituels » sans portée réelle. Au mieux, il s’agit là d’activités divertissantes mais stériles, au pire d’égarements dangereux, susceptibles de nuire à la santé mentale et d’entraver le perfectionnement spirituel.

La transmission spirituelle

Ostad Elahi porte un regard critique sur les formes de la relation maître-disciple, fondées sur la soumission et l’obéissance aveugle. Cette relation, que l’on retrouve dans de nombreuses traditions spirituelles, lui semble en particulier inadaptée à une époque où l’homme souhaite appréhender rationnellement, en conscience, les principes qui doivent orienter sa vie. Ostad Elahi considère que la transmission spirituelle doit adopter les voies d’une formation pédagogique fondée sur l’exemple, l’explication rationnelle et le débat. Le mode de transmission conforme à cette exigence est celui qui lie le professeur à l’étudiant : entre l’esprit le plus expérimenté et l’esprit en quête de compréhension, la relation qui s’instaure est incompatible avec la soumission inconditionnelle qu’un maître peut attendre d’un disciple, de même qu’elle est incompatible avec toute forme de transaction matérielle ou financière, sous forme d’offrandes ou de dons en espèces ou en nature. Au-delà des questions liées à la transmission et à l’apprentissage, Ostad Elahi insiste plus généralement sur la nécessité, pour celui qui entreprend de se connaître et de se perfectionner, de ne jamais abdiquer sa liberté de conscience et son discernement ; car c’est à lui que revient, en dernière instance, la capacité de juger et de décider pour lui-même de l’orientation qu’il donnera à sa conduite dans toutes les dimensions de son existence. Personne ne peut faire ce choix à sa place, personne ne peut lui imposer une ligne particulière.

Pour en savoir plus sur la philosophie d’Ostad Elahi, lire : la pensée d’Ostad Elahi en 7 points.
Voir également la bibliographie : Études concernant la vie et l’oeuvre d’Ostad Elahi.

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