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Vaincre la jalousie, extrait

Vaincre la jalousie

Si on laisse de côté la question de la jalousie amoureuse, la jalousie désigne le sentiment négatif que l’on ressent lorsque l’on voit quelqu’un bénéficier d’un avantage que l’on ne possède pas ou que l’on souhaiterait être le seul à posséder. Qu’il s’agisse d’un sentiment négatif, on le contestera difficilement : la jalousie nous rend amer le bonheur d’autrui, elle nous fait espérer secrètement son échec et nous réjouit de son malheur. Ce qu’il convient de souligner dans cette définition, c’est que la jalousie s’inscrit dans une relation triangulaire : il y a le jaloux, l’objet de son désir, et l’autre, le jalousé, celui qui possède l’objet du désir. Être jaloux, ce n’est pas seulement avoir envie de quelque chose. C’est avoir envie d’une chose que moi, je n’ai pas, alors qu’un autre l’a, ou, quand ce sentiment s’aggrave, ne pas supporter et souffrir qu’un autre ait ce que j’ai déjà.

On distingue souvent la jalousie de l’envie : l’envieux souffrirait du bonheur d’autrui et voudrait pour lui ce que les autres ont, alors que le jaloux redouterait simplement d’avoir à partager ou à perdre au profit d’un autre un avantage auquel il estime être le seul à avoir droit [1]. Cette distinction n’est cependant pas strictement respectée dans le langage courant qui tend à privilégier le terme de jalousie. Elle n’existe d’ailleurs pas dans toutes les langues. Ainsi, pour des raisons de clarté, nous n’utiliserons que le terme de jalousie, qui devra s’entendre en un sens large, recouvrant les différentes nuances d’un sentiment dont l’envie n’est que l’une des manifestations.

L’origine

Comme en témoigne l’étymologie même du mot (« zèle »), la jalousie provient d’un attachement aux choses, d’un désir de possession exclusive, d’un élan qui nous pousse vers quelque chose. Le jaloux veut pour lui ce qu’il juge bon (argent, pouvoir, richesse, beauté, connaissance, reconnaissance, honneurs, etc.), et surtout, il le veut pour LUI TOUT SEUL. Sans cela, rien ne distinguerait la jalousie de l’envie pure et simple, du désir de posséder, de la convoitise ou de l’avidité.

D’où cette explication, donnée par B. Elahi dans Médecine de l’âme[2] :

« […] la jalousie provient de l’instinct de possession, plus précisément de l’envie, enveloppé d’égoïsme. L’instinct de possession est un caractère naturel, qui, à dose normale, est bénéfique, car il nous stimule et nous rend actif. Mais si cet instinct n’est pas contrôlé, il s’exacerbe et se transforme en jalousie. »

La notion d’égoïsme indique bien que ce que veut le jaloux, c’est évacuer l’autre pour rester seul avec la chose désirée, et jouir ainsi, non pas tant de la chose elle-même, que du fait d’être le seul à pouvoir en jouir. C’est une vieille histoire qui remonte aux origines de l’humanité. Voyez Abel et Caïn : Caïn était jaloux de son frère parce que Dieu avait agréé l’offrande d’Abel et s’était détourné de la sienne. Ce sentiment l’a poussé au fratricide. Bien entendu, nous ne sommes pas tous des assassins, et cette éviction de l’autre peut prendre des formes plus ou moins violentes ou explicites. Elle constitue néanmoins un élément essentiel de la jalousie.

Le substrat de la jalousie, à savoir l’instinct de possession, n’est pas nuisible en soi. Il s’agit au contraire d’une tendance naturelle nécessaire au progrès. Dans sa forme naturelle, cet instinct prend la forme de l’émulation. Dans l’émulation, on entretient avec l’autre une relation de saine compétition qui nous pousse à donner le meilleur de nous-même : le fait qu’un autre bénéficie d’un avantage nous motive et nous dynamise. Désirer une chose n’est donc pas négatif. Ce qui l’est, c’est de souffrir du fait que les autres puissent posséder certains avantages et de vouloir les en priver. C’est ce qu’Aristote observait dans son analyse de l’envie :

« L’émulation est une passion honnête et de gens honnêtes, tandis que l’envie est une passion vile et de gens vils ; car l’un se met, par l’émulation, en état d’obtenir ces biens, l’autre, par envie, empêche son prochain de les avoir[3]. »

Une autre source de la jalousie est l’amour-propre ou l’orgueil qui conduit chacun à vouloir être le premier dans les domaines qui lui tiennent à cœur[4]. Quand on voit quelqu’un réussir dans ce domaine, on souffre parce qu’à tort ou à raison, on se sent rabaissé, dépassé, donc inférieur. Ce sentiment nous porte à ruminer des pensées sombres (concernant notre propre infériorité ou l’injustice du monde), et aussi à réagir sur un mode négatif ou réactif (aigreur ou nuisance directe à l’égard d’autrui). Ainsi, on peut être jaloux de l’admiration que suscite un proche, même et surtout quand on sait que cette admiration est exagérée. Dans ce cas, la jalousie est renforcée par un sentiment d’injustice qui nous donne toutes sortes de raisons d’être jaloux, et aussi toutes sortes d’alibis pour nous empêcher de nous rendre compte que nous le sommes réellement : nous sommes convaincus que celui qui reçoit l’admiration la mérite moins que nous, mais derrière ce qui pourrait passer à nos propres yeux comme une indignation morale légitime, c’est déjà la jalousie qui parle.

Je suis une personne assez timide et réservée, qui préfère se retrouver seule plutôt qu’entourée d’un tas d’inconnus. Malgré cela, j’ai un grand besoin d’amis. Mais comme j’ai du mal à parler avec les gens que je ne connais pas, je n’arrive que très difficilement à me faire des amis. Il m’arrive fréquemment de jalouser les personnes qui se lient facilement d’amitié avec les autres. Lorsque je suis en présence de ce genre de personnes, j’ai tendance à me renfermer sur moi-même et à ne montrer aucun signe extérieur de jalousie. Mais en moi-même, je rumine un sentiment de colère : pourquoi cette personne a-t-elle tant de succès auprès des autres et pas moi ? Ce qui m’exaspère le plus, c’est que souvent, je ne trouve pas que ces personnes méritent l’attention dont elles font l’objet. Je jalouse leur capacité à parler en public et donc, le fait qu’elles soient entourées de plein de gens, mais pas leur personne elle-même. Il en résulte un fort sentiment d’injustice : comment une personne plutôt stupide peut-elle focaliser à ce point l’attention des autres ?

Cette sensation d’injustice est à l’origine des jalousies les plus cuisantes. Chez ceux dont l’orgueil est particulièrement développé, le succès, les biens, l’amour dont bénéficient les autres sont proprement intolérables, car ils sont intimement persuadés de les mériter davantage : pourquoi eux et pas moi ?

Dans la majorité des cas, la souffrance est donc liée au fait qu’on se sent atteint dans l’estime que l’on se porte à soi-même. On pense que parce que l’autre a quelque chose, on perd soi-même[5] ipso facto quelque chose, ou que si l’autre a quelque chose et pas nous, c’est parce qu’on lui est inférieur, ce qui explique le manque de confiance en soi qui accompagne la jalousie.


[1] Voir à ce sujet l’article, « Envie et jalousie », dans Le Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale, Paris, PUF, 1996.

[2] B. Elahi, Médecine de l’âme, p. 43, Paris, Dervy, 2000.

[3] Aristote, La Rhétorique, livre II, chap. X et XI, trad. De C.-E. Ruelle, Paris, Le Livre de poche, 1991.

[4] Ce que nous jalousons, c’est d’ailleurs souvent la simple considération ou affection dont les autres font l’objet, comme si l’amour qu’on leur portait était autant d’affection dont nous serions privés.

[5] Saint Thomas d’Aquin observait ainsi à propos de l’envie qu’elle conduit « à s’attrister du bien du prochain comme s’il diminuait le nôtre et qu’il nous fit du mal » (Somme théologique, 2e partie, question 36).


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