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L’autre, miroir de soi (2ème partie)

Par , le 23 Avr. 2017, dans la catégorie Pratiques - Imprimer ce document Imprimer - English version
l'autre miroir de soi (2)

Dans une visée de perfectionnement éthique, se voir dans le miroir de l’autre, c’est prendre tout ce qui émane des autres (actes, paroles, comportements, etc.) comme autant d’occasions de mieux se connaître soi-même. C’est sur cette proposition générale que se concluait le précédent billet. Dans la seconde partie que voici, l’auteur suggère quelques pistes pour la mettre concrètement en œuvre.

L’autre comme miroir de soi. Voici quelques manières de mettre la chose en pratique. Et comme notre tendance générale est plutôt de nous surévaluer ses propres qualités, on se concentrera ici sur les situations qui permettent de mettre au jour certaines de nos lacunes éthiques.

1) Premier cas

Bien entendu, le cas le plus évident, c’est lorsqu’autrui nous signifie clairement, par la parole, l’un de nos points faibles. Dans ce cas simple, l’autre se comporte en fait comme un miroir parlant. Par exemple, un collègue de travail nous lance à la figure : « Toi, de toute façon, tu n’es pas fiable ! » ou encore : « Tu m’as laissé volontairement dans l’ignorance de certains éléments du dossier pour que je me plante… ! »

En général, notre première réaction est plutôt de l’ordre de la vexation, ou du déni. On répond par l’attaque, en jetant à la figure de celui qui nous critique l’un de ses propres défauts. Dans ce cas, c’est l’ego qui réagit ; c’est lui qui, en dénigrant autrui, défend coûte que coûte la vision surévaluée qu’il nous donne de nous-même.

Certes, selon les circonstances, il peut être important de défendre son honneur, notamment si l’attaque est publique, malhonnête, etc. Mais en règle général il est bon de se demander s’il n’y a pas de la vérité dans ce qui nous est ainsi reproché Et d’ailleurs, ne dit-on pas qu’il n’y a que la vérité qui blesse ? Cela signifie que du point de vue de la connaissance de soi, il peut être très intéressant, une fois passée la vexation initiale, de revenir sur l’information reçue et de l’évaluer avec lucidité. N’ai-je pas en moi ce défaut qu’on me signale ou qu’on me reproche ? Et si oui, à quel degré ?

Bien sûr, le miroir des autres peut parfois être déformant, mais l’idée est de saisir là une occasion de s’introspecter, afin de mieux se connaître.

2) Deuxième cas

Les autres, par leurs simples comportements à mon égard, réfléchissent sur moi mes propres lacunes éthiques, même s’ils n’en disent explicitement rien.

Ici, une observation perspicace peut faire office de révélateur. Par exemple, je constate depuis quelques temps que X, un de mes collègues de travail, ou encore un de mes amis, évite ma compagnie alors qu’il continue à se montrer toujours très affable et disponible avec les autres. En portant mon attention sur notre relation et en me repassant mentalement quelques scènes, je prends soudain conscience que j’ai développé une tendance à me moquer un peu de lui, notamment quand nous sommes avec ce groupe de collègues avec qui j’aime bien rire. Pour en avoir le cœur net, je demande à l’un d’eux ce qu’il en pense et il me confirme que oui, X lui a en effet dit qu’il se sentait mal à l’aise avec moi et qu’il préférait prendre ses distances.

3) Troisième cas

Les traits de caractère qui ne nous plaisent pas chez les autres peuvent jouer le rôle de miroir de nos propres dysfonctionnements. Comment ?

Le témoignage suivant (extrait de Changer de Regard, par Olivier de Brivezac et Emmanuel Comte, L’Harmattan, coll. Éthique au quotidien, 2006) nous en donne une idée :

« Mme X, mutée dans le département international de son entreprise, est amenée à collaborer régulièrement avec une responsable marketing embauchée quelques mois auparavant.

Assez rapidement, je me suis rendue compte que je n’avais pas beaucoup d’affinités avec elle. Elle représentait tout ce que je déteste : elle se valorisait en permanence, elle rabaissait tous ceux qui n’étaient pas conformes à ses valeurs, elle étalait au grand jour la vie privée des autres, elle jugeait tout le monde, elle médisait, etc. Elle appelait les ingénieurs “les technos”, sans chercher à mieux les connaître (pour avoir travaillé plusieurs mois dans le cadre de l’équipe technique, ce mépris m’irritait particulièrement).

Bref, j’ai tout de suite été refroidie. J’avais beaucoup de mal aussi à supporter ses réflexions du genre “les Anglais sont sales”, “les Japonais sont mesquins”, “les technos s’habillent mal”, etc. Je la contredisais systématiquement, et l’atmosphère entre nous est rapidement devenue électrique. Les pauses et les déjeuners m’étaient de plus en plus pénibles, j’essayais par tous les moyens d’éviter de me retrouver en tête à tête avec elle. Et plus les choses avançaient, moins j’étais motivée pour m’investir dans mon travail. Au bout d’un moment j’ai commencé à être déprimée, malheureuse, sans vraiment me rendre compte de la raison réelle de cet état… »

À supposer que je sois Mme X, que pourrait me révéler une telle situation sur moi-même ?

  • éventuellement, une forme de jalousie ;
  • de l’incapacité à trouver une stratégie de fonctionnement efficace avec cette personne ;
  • de la faiblesse de caractère, puisqu’elle parvient à me démobiliser ;
  • un certain manque d’estime de soi ;
  • du dogmatisme : je juge en effet cette personne (il suffit de voir le nombre de mots qui le démontrent) et mon jugement m’amène sans doute moi aussi à des conduites inadaptées ;
  • de l’orgueil : « moi, je prends le temps de connaître les autres », « je la contredisais systématiquement » ;
  • etc.

Ici, ce sont mes réactions et mes émotions qui jouent le rôle de révélateur. Je ressens un mal être, une gêne, une pulsion agressive, un énervement, etc. ? De quelles faiblesses ou lacunes éthiques en moi cela pourrait être le signe ?

4) Quatrième cas

À partir de ce témoignage, on peut enfin envisager une dernière façon de profiter du miroir qu’est l’autre pour mieux se connaître soi-même. Elle consiste à se demander si je suis bien certain que ce trait de caractère qui me dérange tant chez l’autre, voire que je déteste, ou dont je ne cesse de me moquer, n’est pas un défaut que je partage avec elle !

Il s’agit en somme d’entrer dans une démarche proactive, en tirant tout le bénéfice des propriétés de symétrie de l’image en miroir. On fait ainsi son propre diagnostic, en partant de l’hypothèse que tout défaut que j’observe chez l’autre est peut-être déjà en moi-même. Cette réflexion est importante pour ne pas tomber dans le piège de l’ego qui, pour nous décourager d’entamer la moindre démarche de pratique éthique, va probablement commencer par nous dire : « Très, sincèrement, j’ai peut-être beaucoup de défauts, mais celui là certainement pas ! ».

Le diagnostic va donc consister à essayer de repérer en soi la présence du dysfonctionnement observé chez l’autre. Pour reprendre l’un des exemples du témoignage précédent, est-ce que vraiment cela ne m’arrive jamais de révéler la vie privée d’autrui ? À quels moments, et avec quelle fréquence ? Avec quelles personnes en particulier ? Dans quels types de situations ? Qu’est-ce que cela provoque en moi, quelles réactions chez les autres, etc. ?

Pour finir sur une note plus encourageante, on peut aussi bien sûr avoir une démarche proactive sur la base des qualités éthiques reconnues chez les autres : ce comportement éthique que j’observe chez l’autre (sans préjuger de son intention), est-ce que j’en suis capable moi-même ? Et si non, comment puis-je m’en inspirer ?

Ce qu’il faut retenir, c’est que toutes ces stratégies nécessitent que je tourne mon attention vers l’intérieur de moi-même, sur mes intentions, mes réactions, mes propos, mes émotions pénibles, etc., non pour m’affliger des découvertes désagréables que je pourrais faire, ou me désespérer de ne pas être tel que je m’imaginais être, mais pour devenir plus lucide sur moi et produire des efforts éthiques sur des bases réelles, et non imaginaires, en me réfléchissant dans le miroir des autres. Cette leçon de réalité peut d’abord être amère, mais placée dans la bonne perspective, elle se révèle extrêmement stimulante, et même enthousiasmante, pour peu que l’on se souvienne qu’à travers chaque fissure qui lézarde la carapace d’auto-illusions dans laquelle nous enferme notre ego, la lumière divine peut passer et nous rapprocher de Lui.


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8 commentaires

  1. antony le 23 Avr 2017 à 23:58 1

    En effet ce week end par exemple, fut le constat de qualités chez un ami qui ont fait echo chez moi même. Suis je aussi tolérant que lui ? non. Je constate qu’il ne médit jamais de quiconque suis je ainsi ? non, je juge souvent. Je constate qu’il s intéresse à énormément de choses différentes et cherche à découvrir les choses, suis je ainsi ? non, je reste sur mes acquis. Il a beaucoup de recul et de maturité quant aux événements qui arrivent dans sa vie. Comment suis je moi même ? toujours stressé et impatient, à réagir au quart de tour. La honte naît alors et l’émulation ensuite. L’ami, sans le vouloir et sans chercher à l’être, aide et va aider à grandir.

  2. why le 24 Avr 2017 à 9:58 2

    Ca sent le vécu. C’est motivant et j’espère bientôt pouvoir dire : c’est efficace. Merci

  3. A. le 24 Avr 2017 à 20:54 3

     » … ce trait de caractère qui me dérange tant chez l’autre, voire que je déteste, ou dont je ne cesse de me moquer, n’est pas un défaut que je partage avec elle  »

    En tous cas cela a été mon expérience : dès que je n’aime pas un défaut chez quelqu’un – après réflexion, je me rends compte d’avoir le même défaut. Par exemple je suis assez sincère et quelqu’un qui ne l’est pas me fait sourire (je le trouve presque drôle), alors que quand je suis confronté à quelqu’un d’égoïste ou pessimiste je ne rigole point. Je suis envahi par des pensées négatives et j’ai de la peine à traiter toujours la personne avec humanité.

  4. corry le 25 Avr 2017 à 18:18 4

    Merci pour votre article !

  5. A. le 27 Avr 2017 à 7:41 5

    Un autre point important, quand j’analyse mes interactions avec les autres, sont les personnes que j’évite. En effet il y a un nombre de personnes face auxquelles je ressens un sentiment d’anxiété. Leur présence met en exergue mon manque de confiance. Ce sont en général des gens très sûr d’eux-mêmes, des hommes qui ont réussi professionnellement alors que ma carrière a été piètre.

  6. mike le 30 Avr 2017 à 0:50 6

    Le plus gros travail est en famille parmi nos proches des gens qui sont sensés nous aimer et qui nous voient vivre tous les jours, quand ils font des remarques ça pince le coeur.
    En société, les autres vous regardent toujours comme un rival, y a t il vraiment des gens qui ont une vraie empathie sincère, qui cherchent à vivre en harmonie avec les autres?
    Ces collègues de travail dont vous parlez jouent un rôle social et quelque fois animal, ils marquent leurs repères, leurs territoires pour se sentir toutjours supérieurs aux autres… Combien sont-ils à se dire en se réveillant le matin, je vais faire un effort sur mon égo et je vais aider quelqu’un sans attendre de retour? Dans vos exemples, ceux qui vous jugent directement ou indirectement ont-ils une intention pure? S’ils aimaient vraiment leur prochain, ne s’y prendraient-ils pas autrement?
    Bon après ces élucubrations, je vous suis totalement dans l’introspection. Dès que quelques chose nous titille de l’extérieur, il faut voir pourquoi et s’analyser puis travailler si cela peut se révéler comme un gros défaut dont on n’était pas conscient.
    Mais je me rends compte que la famille c’est vraiment un joyau divin! Que de tiraillement, tension, amour, cris, pleurs, joie, partage, éducation, tous les défauts et les qualités peuvent y être en jeu, c’est tellement dur d’avoir une famille bien équilibrée et unie de coeur!

  7. mike le 06 Mai 2017 à 18:23 7

    J’ai fait l’expérience le we dernier du caractère très puéril du soi impérieux et de l’image que l’on peut donner aux autres, peu importe le statut social qu’on peut avoir!
    On partait en famille pour un tour à vélo, j’ai préparé les vélos de tout le monde, puis les gens se faisant attendre, l’effervescence monte tout doucement et au moment du départ c’est moi le chef qui décide par où passer!; pourtant les autres calmement me proposaient de prendre un autre chemin plus agréable mais je n’entendais rien; alors je prends de l’avance et roule tout seul devant… super le départ en famille! puis je me rends compte que personne ne suis ou pas à ma vitesse, sauf mon épouse qui me rattrape pour m’expliquer mon erreur assez calmement d’ailleurs et je l’en félicite; et je vois mon fils pieds à terre marchant à côté du vélo; en fait je prenais des chemins qui n’arrangeaient personne, vélo de courses de mon fils à pneus fragiles, moi je passais sans y penser par les chemins de terre non adaptés… Tout d’un coup je me rends compte de l’erreur, le calme est revenu chez moi au contact de mon fils et nous prenions un autre chemin. Je me suis rendu compte de ce soi impérieux qui agît comme un putsch puéril par pulsion et fait ce qu’il veut sans entendre raison… j’en ai ri et me suis un peu excusé :))mais parce qu’aussi personne ne s’était fâché par chance… je comprends aussi que faire de bons actes, comme préparer un voyage et les affaires de tout le monde, à un prix, celui de la retenue et de la maitrise de son égo, sinon on perd tout le bénéfice de ce qu’on a fait et on se discrédite aux yeux des autres.

  8. Noh le 22 Nov 2017 à 1:28 8

    Merci pour cet article. Levinas nous dit qu’autrui est un visage, la perspective d’appréhender autrui comme un miroir donne davantage de profondeur encore .

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