294 Votez
Hommage à Hadj Nemat

Le 28 février 1920 s’éteignait Hadj Nemat, le père d’Ostad Elahi. Deux documents célèbrent ici la mémoire de ce grand spirituel qui fut aussi un poète mystique inspiré. L’hommage musical conçu par Renaud Garcia-Fons et Claire Antonini sur la base d’une composition d’Hadj Nemat (le « Monajat ») a été enregistré en public à la Maison de Radio France le 25 février dernier. « Infidélité du monde », le poème consacré par Hadj Nemat au thème de l’impermanence régnant dans les affaires humaines, est un des chefs-d’œuvre du Livre des Rois de la Vérité. Nous en republions un extrait dans une traduction de Leili Anvar.
Extrait musical
Monajat d’Hadj Nemat : Suite en ut
Malek Jan : Zekr
Vieux Gauthier : Chacone
Extrait de l’émission « Un mardi idéal » par Arièle Butaux, diffusée le 25 févier 2014 sur France Musique
Infidélité du monde
Le Livre des Rois de la Vérité est un ouvrage de plus de 15000 vers composé en 1919 par Hadj Nemat, dans lequel il relate la vie des saints, des prophètes et des grandes figures spirituelles de l’humanité. Les récits narratifs alternent avec des passages plus méditatifs en forme de prières, de conseils ou d’invocations. La personnalité mystique d’Hadj Nemat, son amour inconditionnel pour le Divin et sa soif de connaissance des vérités spirituelles s’y révèlent et permettent de saisir quelque chose de l’atmosphère particulière dans laquelle Ostad Elahi a baigné dès son plus jeune âge.
Dans ce poème, intitulé « Infidélité du monde », il nous dévoile le regard qu’il portait sur ce monde constamment changeant.
Oui, j’ai de quoi me plaindre de ce monde qui tourne Du bruit, de la clameur qui monte pendant qu’il tourne Monde qui va de travers, monde trompeur, changeant Qui tantôt monte et tantôt redescend Que pourrais-je bien dire de ce monde voûté Qui tantôt est si beau et tantôt est si laid À l’un il donne la gloire et la fortune Et l’élève plus haut encore que la lune À l’autre, il donne le sang comme seule nourriture La terre et la boue comme lit de fortune Il donne à l’un la joie, la fête et le bonheur Et il condamne l’autre au deuil et au malheur Mais quelle est donc l’énigme de ce monde ancien Qui fait gémir les hommes et les femmes aussi bien Monde à l’envers, monde funeste Monde destructeur qui fait que rien ne reste Qui lacère le cœur de l’espace et du temps Douleur en eux à l’œuvre incessamment Le monde est recouvert de rouille et de poussière Les mois et les années rabougris de froideur Ô combien de prophètes porteurs de lumière Combien de saints aux illustres carrières Combien de souverains aux noms si glorieux Combien de sages aussi, héroïques et fameux Et combien de mystiques les yeux rivés sur Dieu Dans le désir brûlant, ô combien d’amoureux Combien d’hommes et de femmes, de tout temps Combien d’entre eux, des petits et des grands Sont venus en ce monde pour y être éprouvés Et tous, un jour, ils ont dû le quitter |
Dans ce monde aucun n’a trouvé de bonheur Ils n’y trouvèrent rien que tumulte et fureur Tous, en venant ici, de douleur ont souffert Personne n’ échappe au piège de ce monde éphémère De mille maux est suivi le bonheur d’un instant Un long deuil succède à la fête d’un moment Dans ce monde aucun vœu ne peut être exaucé Dans ce monde aucun nœud ne peut être dénoué Celui qui quelque temps à cheval est resté Le reste de son temps, à pieds, il a marché Personne n’a vu ici la moindre stabilité Ce monde ne donne rien que l’infidélité Tantôt automne, tantôt printemps Les choses vont ainsi depuis la nuit des temps On voit à chaque instant qu’il change ses couleurs Qu’il ne donne rien d’autre enfin que la douleur Beaucoup ont ici passé leur chemin Ils gisent sous la terre ayant vécu en vain Et toi, ô mon cœur, par ce monde si vieux ne te laisse pas surprendre Car il sait bien comment dans son piège te prendre (…) De l’homme ne reste à la fin que son nom On se souvient de lui comme mauvais ou comme bon Au juste restera pour toujours, sa justice Jusqu’à la fin des temps, l’injuste gardera l’injustice Applique-toi au bien, mon âme, tant que tu peux Car seul le bien te sauvera ici et dans les cieux Il restera de toi comme souvenir ici Il sera ton bonheur, là-bas, au Paradis |
Poème publié dans Orient, Mille ans de poésie et de peinture, Diane de Selliers éditeur, 2004.
Traduction : Leili Anvar-Chenderoff, maître de conférences en langue et littérature persane à l’Inalco.
À (re)découvrir :
Consulter également :
© Cette création est protégée par le droit d’auteur. Tous droits réservés. Reproduction non autorisée.
Revenir en haut
Magnifique !! Merci pour ce moment d’émotion !!
Merci pour ce partage. Cette musique est très belle. Propice à la médiation et la prière.
Pendant que je lisais ce poème, j’ai soudain eu comme l’impression que mon âme s’envolait très haut, très loin, et j’ ai réalisé à quel point nous venons d’ailleurs, à quel point nous ne sommes pas de ce monde, à quel point ce monde est vain……. comme le dit le poëme.
Mon coeur s’est serré et une nostalgie irrépressible s’est emparée de moi.
Que la musique est belle et comme elle peut nous mener loin, loin de notre quotidien..
Que le monde spirituel est beau,majestueux,pur, émouvant, irremplaçable….Il faudrait de nombreux qualificatifs encore pour exprimer mon ressenti…
merci infiniment pour cette suite en ut, ce zekr et cette chacone qui touchent tant et adoucissent profondément mon cœur meurtri, si je me mets à l’écoute du monde
Merci pour ce billet car il m’a permis de revisiter le site et de relire ce beau poème si éloquent sur la condition humaine dans ce monde terrestre. C’est un poème qui m’aide à remettre les choses en perspectives surtout lorsque je m’emballe pour les plaisirs de cette vie.
C’est très beau
Par nature dans ce monde je suis actif et même compétitif.
Mais quand j’écoute cette musique immédiatement mon âme devient nostalgique des valeurs spirituelles et je me détache des choses de ce monde
Que d’émotions en écoutant ces extraits musicaux et en lisant ce poème, les larmes me sont venues, exactement comme lorsque l’on n’a pas vu quelqu’un qui nous est cher depuis longtemps, mon âme retrouvait son origine.
Plus j’écoute ce duo magnifique, plus j’entends le féminin et le masculin se répondrent
Le féminin chante, le masculin accompagne… et chante à son tour
Pour une ode à l’Un, réunis et unis…
Deux cœurs en un seul cœur, pour le Coeur, la parade au bruit du monde…
Magnifique !
J’ai beau le connaître, cet extrait de chant poétique, chaque fois je suis nouvellement frappée par sa profondeur et sa justesse inspirée.
sympa l’émission et la musique j’avais pas cliqué sur le lien
un bel hommage!
merci
Bonjour
Merci pour cet article, en ce jour, qui correspond au départ de Hadj Nemat parti il y a plus d’un siècle à l’âge de 49 ans. Sa vie et sa pensée qui prônent le regard tourné vers ce qui est essentiel en nous, éthique individuelle, paraît plus que jamais correspondre comme une réponse à la crise sanitaire morale économique que nous traversons !
Très bel hommage que je redécouvre en ce jour !
Merci
Quelle merveille! Je me régale toujours en la lisant