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De l’art d’écouter

Par , le 8 Fév. 2009, dans la catégorie Lectures - Imprimer ce document Imprimer
Comment écouter, Plutarque

Comment écouter ? Plutarque, Trad. Pierre Maréchaux, coll. Petite Bibliothèque, Rivages Poche

Apprendre à bien parler ne suffit pas. C’est aussi à bien écouter qu’il nous faut travailler si nous voulons tirer profit des paroles de ceux qui entendent nous transmettre un savoir. Telle est en quelques mots la thèse de Plutarque dans Comment écouter. Nous voila bien loin du discours actuel sur l’écoute, qui y voit presque exclusivement le facteur d’une relation authentique aux autres, l’acte silencieux susceptible de nous ouvrir à la subjectivité d’autrui pour en saisir les besoins, les désirs et les frustrations. Ce qui est examiné dans ce court traité, c’est l’écoute comme « condition nécessaire à tout apprentissage ». En d’autres termes, comment écouter ceux qui savent (ou prétendent savoir) de manière à en extraire de quoi progresser dans la connaissance du vrai et du bien si chère aux platoniciens ?

En quelques pages d’une clarté saisissante, ce texte examine les principaux obstacles qui s’opposent à une écoute féconde, et les moyens de les surmonter. Qu’il s’agisse de la rivalité jalouse qui nous rend inattentif aux « beaux discours » de ceux dont nous envions le talent, de l’attrait excessif pour la forme au détriment du fond, ou encore de l’admiration béate qui nous fait acquiescer sans discernement à tout ce qui est dit, ce sont d’abord nos propres défaillances morales qui nous empêchent d’apprendre de la parole des autres. C’est là une idée forte de ce livre. La transmission du savoir et de la vertu n’est pas de la seule responsabilité de celui qui transmet, de l’éducateur. Elle l’est tout autant de celui qui reçoit, lequel a également « des devoirs à remplir ». L’éducation, et en particulier « l’éducation philosophique », qui s’apparente étroitement au perfectionnement spirituel dont parle Ostad Elahi, ne peut se faire sans la collaboration active de l’apprenant.

Celle-ci commence par un travail sur la qualité de son écoute, puis sur sa façon de questionner l’éducateur. Car l’écoute ne signifie pas uniquement que l’élève fasse silence. Elle admet volontiers les questions, à condition cependant que celles-ci soient « à la hauteur » du discours initial. L’auteur condamne ici sans ménagement les questions futiles, sans rapport avec ce qui est dit, ainsi que celles qui portent sur des sujets dont l’orateur n’a pas la connaissance ou qui n’ont d’autre but que de le contredire. Au passage, il met en garde ceux qui travaillent à leur perfectionnement moral et spirituel contre deux défauts de l’écoute : l’un consiste à se rendre indifférent à la critique des autres (et plus particulièrement celle de nos « éducateurs »), à prendre les critiques à la légère, sans y accorder plus d’importance que cela ; l’autre consiste à y être au contraire trop sensible, à faire preuve d’une susceptibilité qui nous conduit à tourner le dos à ceux dont les conseils et le regard nous auraient aidé à mieux nous connaître et à nous améliorer.

Chacun d’entre nous, que ce soit dans un domaine ou un autre, avons été (ou sommes encore) tour à tour l’élève et le maître. Ne serait-ce que pour cette raison, nous gagnerions sans doute beaucoup à nous faire les auditeurs attentifs de Plutarque. Il nous rappelle combien l’éducateur que nous sommes tous, ne serait-ce qu’occasionnellement, devrait prêter attention à la justesse de ses paroles. Que nous en ayons conscience ou pas, nos paroles ont un effet. Elles agissent à des degrés divers sur l’âme de celui qui en est le récepteur, avec le risque toujours présent d’y faire des dégâts, mais avec également et fort heureusement la possibilité d’y implanter le bien : « la vertu n’a d’autre entrée que l’organe de l’ouïe pour s’insinuer dans le cœur des jeunes gens ». Dans le même temps, le philosophe nous engage à mieux écouter afin d’apprendre non seulement de ceux qui disent le vrai mais aussi de ceux qui propagent le faux : « N’hésitons pas, quand nous voyons les autres mal faire, à nous répéter les mots de Platon : “Est-ce que par hasard je ne leur ressemble pas ?” ». Ce faisant, peut-être prendrons-nous conscience de l’urgence qu’il y a à cultiver aujourd’hui autant qu’hier une écoute exigeante en matière de vérité, mais qui soit également bienveillante face à des manquements dont nous pouvons tout aussi bien nous rendre nous-même coupables.

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15 commentaires

  1. juliette le 09 Fév 2009 à 0:13 1

    Depuis longtemps je passe près de ce livre dans mes escapades au rayon philo des librairies… mais je redoutais de n’y rien comprendre… . Mais cette fois je vais me lancer. C’est un sujet tellement important et qui me questionne pas mal en ce moment.
    Le point qui me semble le plus difficile c’est l’écoute active qui ne dérape pas vers l’écoute de notre propre discours. Je suis assez attentive aux gens et sociable très facilement. Je parle facilement avec tout le monde et j’aime aussi écouter les autres. Mais il y a écoute et écoute. Quand j’ai pris soin d’écouter sans apriori bien souvent j’ai entendu des discours extrêmement intéressants. Nous sentons quand nous sommes écoutés et nous ressentons un respect venant de l’autre. La relation se noue différemment.
    C’est un sujet passionnant.

  2. KLR le 09 Fév 2009 à 11:05 2

    J’ai le sentiment que ce que propose Plutarque, est une écoute au niveau de l’âme : c’est-à-dire ressentir au niveau de l’âme les effets de ce que l’on écoute et voir si cela opère un changement en nous. L’extrait qui est donné ici est très parlant, et l’image de l’abeille choisissant « la plante » qui lui sera utile pour fabriquer le miel, plutôt que celles qui ont un aspect attirant, est bien explicite. Mais l’abeille réagit avec son instinct, elle est programmée pour ce choix utile. En ce qui nous concerne, nous les êtres humains, est-ce que cette écoute suppose une maturité de l’âme, ou en tous cas un travail vers la maturité ? Est-ce que développer cette écoute va de pair avec le perfectionnement de l’âme ? cela supposerait que l’on n’est pas d’emblée capable de ce genre d’écoute…

  3. juliette le 09 Fév 2009 à 20:33 3

    Il me semble que nous ne sommes pas d’emblée capable de cette qualité d’écoute. Notre égo nous embrouille et nous nous écoutons plus que de raison… Je crois que c’est vraiment un travail sur soi cette qualité d’écoute. Et donc ça semble aller de pair avec la maturité de notre soi. C’est un sujet à méditer donc…

  4. chapi le 10 Fév 2009 à 0:00 4

    En matière d’écoute et de Vérité, toute la difficulté est de savoir si l’objet de mon écoute est Vérité ou non…. La question que je me suis souvent posée est de savoir comment face à un « éducateur », j’entends par là quelqu’un que l’on considère comme supérieur à soi dans un domaine donné, comment faire preuve d’écoute pour pouvoir tirer profit de ce qu’il peut avoir à nous apprendre tout en faisant preuve d’esprit critique à l’égard de son discours ? Pas facile puisque je pars du principe qu’il sait et moi non… Alors, en matière de mécanique auto, pas de grosses difficultés puisque si je mets en pratique ce qu’il me dit, je me rends compte immédiatement si les conseils sont avisés, mais comment faire pour des matières plus essentielles comme la spiritualité où il est bien plus difficile de se rendre compte immédiatement de la portée des conseils donnés ? bref, pas facile de savoir qui est digne d’être considéré comme « éducateur »….

  5. Inc le 10 Fév 2009 à 0:16 5

    Cet article donne un aspect étoffé de l’écoute. Il évoque rapidement l’écoute comme « bonne action », c’est à dire la « relation authentique aux autres, l’acte silencieux susceptible de nous ouvrir à la subjectivité d’autrui pour en saisir les besoins, les désirs et les frustrations » pour préciser que cet aspect n’est pas l’objet du livre de plutarque. Il traite plutôt l’écoute en face de ceux dont on est censé apprendre. C’est intéressant, il ne faut pas avaler n’importe quoi, mais faire preuve de discernement. Ecouter avec attention, est ce que l’on entend est juste? Mon jugement est il objectif ou est il biaisé par de la jalousie, une admiration excessive ou une animosité déplacée? Dans le cas où ce que l’on entend est objectivement érroné, ne pas juger la personne mais ses paroles. Accepter les critiques de la bonne manière… Mais en fait, cette forme d’écoute est aussi à inclure dans l’écoute « bonne action » où il faut être capable de trier les paroles d’autrui avec bienveillance sans se laisser envahir par les pensées erronnées et sans juger sentencieusement la personne que l’on écoute.

  6. SHÂHED le 10 Fév 2009 à 17:14 6

    Voici ce que dit Bâba Afzâl-al-Din, philosophe et poète persan, plus de dix siècles après Plutarque :

    « Des oreilles, si on t’en a donné deux, mais qu’une seule langue,
    C’est pour que tu écoutes deux fois plus que tu ne parles. »

    Je rends hommage à ces esprits universels, humanistes convaincus, dont les sages réflexions sont toujours pertinentes.

  7. MH le 11 Fév 2009 à 14:20 7

    Je comprends que l’écoute est « tout un art »!!!!!
    Quand on sait qu’en communication il n’y a qu’un pourcentage de ce qui est dit est compris ou entendu (au sens profond) il faut bien deux oreilles pour écouter! (merci SHAHED!).
    D’aillleurs, pour pouvoir dialoguer, il faut d’abord écouter ce que l’autre a à dire: j’ai l’impression que, de nos jours, cette écoute fait grandement défaut… Chacun n’écoute que lui-même et nous arrivons à des dialogues de sourds!
    🙁

  8. Inc le 12 Fév 2009 à 21:06 8

    @chapi
    Pas facile en spiritualité, en effet, de discerner parfois ce qui est vrai ou pas.
    Mais parfois il y a des paroles qui sonnent vrai, qui pénètrent et d’autres pas du tout.
    Et puis il faut essayer de distinguer d’où viennent en nous les voix qui approuvent ou réprouvent…
    Et puis, en expérimentant, on voit aussi par soi même ce qui est juste, le bien fondé de certaines paroles…

  9. Chapi le 15 Fév 2009 à 23:15 9

    @MH… Je ne partage pas votre opinion sur l’époque actuelle!! j’ai l’impression que le manque d’écoute est constitutionnel à la nature humaine et cela depuis toujours… Pour preuve, le livre de Plutarque n’est pas des plus récents!!
    Par ailleurs, j’ai le sentiment qu’à l’heure actuelle, le développement des sciences humaines et de la psychologie encourage énormément à l’écoute… Peut être plus qu’il y a quelques décennies!! un exemple tout bête : à l’égard des enfants, on ne se souciait pas de leur bien être ou mal être avec autant d’intensité que maintenant…. Je crois que l’éducation est une preuve de nos avancées en terme d’écoute et d’attention à autrui!
    Alors bien sur, il est difficile d’être véritablement à l’écoute tout le temps et nous sommes loin de la perfection…. Mais, je suis sûre que nous allons dans le bon sens! :o)

  10. DAC le 16 Fév 2009 à 15:00 10

    Chapi : Il est vrai que les êtres humains naissent tout naturellement pleins d’eux-mêmes, donc inaptes à écouter autrui. C’est avec l’expérience et l’éducation qu’ils apprendront (ou pas) à écouter l’autre en vue d’établir des relations d’empathie et de confiance. Cette écoute-là est en effet – pour le meilleur et pour le pire – très actuelle ; mais ce n’est pas du tout celle dont nous entretient Plutarque. L’auteur de l’article le précise bien quand elle nous dit que « Nous voilà bien loin du discours actuel sur l’écoute, qui y voit presque exclusivement le facteur d’une relation authentique aux autres, l’acte silencieux susceptible de nous ouvrir à la subjectivité d’autrui pour en saisir les besoins, les désirs et les frustrations. Ce qui est examiné dans ce court traité, c’est l’écoute comme «condition nécessaire à tout apprentissage ». Or c’est cette écoute-là, comme le dit MH, qui nous fait grandement défaut !

  11. KLR le 17 Fév 2009 à 14:32 11

    Est-ce que l’on ne pourrait pas imaginer que cette écoute, en plus d’être tournée vers l’autre, soit également le support d’une réflexion et d’une recherche personnelle? Finalement est-ce que l’on ne devrait pas analyser ce que l’on entend et se demander « qu’est-ce que cela m’apprend sur moi? Est-ce que cela peut me servir pour m’améliorer ?  » Par exemple : quelqu’un me fait une critique. Peu importe la façon dont celle-ci m’arrive, cela peut être très désagréable…Mais si, après réflexion, cette critique peut m’aider à voir un comportement en moi qui ne m’apparaissait pas et à changer quelque chose sur moi-même; l’écoute de cette critique aura été alors profitable et positive et m’aura permis d’avancer.

  12. Inc le 17 Fév 2009 à 23:07 12

    Si je peux me permettre, la société actuelle, dans l’environnement urbain et tout particulièrement parisien est assez stressante et favorise beaucoup, tout du moins dans le milieu que je fréquente, la réussite personnelle (ce qui est légitime dans une certaine mesure) de manière égoïste, elle n’encourage pas vraiment l’écoute d’autrui et l’attention à autrui en général. Cela est peut être différent dans les domaines où l’on est au fait des avancées en psychologie. En ce qui concerne ‘l’écoute de Plutarque’, c’est vrai qu’il n’est pas courant d’entendre qu’il faille faire attention aux « nutriments » bons ou mauvais pour l’âme que l’on peut « avaler » en écoutant…

  13. MH le 07 Mar 2009 à 14:53 13

    @ SHAHED
    J’ai trouvé (par hasard!) également une maxime du philosophe grec (disciple de Parménide au 5ème siècle avant JC) ZÉNON D’ÉLÉE qui dit ceci: « la nature nous a donné deux oreilles et seulement une langue afin de pouvoir écouter davantage et parler moins »!!!
    Les philosophes anciens avaient les mêmes idées, à des kilomètres de distance! A moins qu’ils ne se cotoyaient??? Où que les idées circulaient???… Mais je ne sait pas à quel siècle vivait Bâba Afzâl-al-Din…
    😉

  14. Salime le 06 Jan 2010 à 16:59 14

    J’ai bien apprécié cet exposé qui m’a donné beaucoup d’inspiration. C’a comblé mes attentes dans la mesure où je suis un Juriste et Gestionnaire des Ressources Humaines dont le rôle nécessite une grande capacité d’écoute. C’est dans ce sens que je suis tombé sur votre site et que j’ai adoré votre commentaire.

    L’écoute est un des moyens efficaces pour mieux comprendre un problème posé et y apporter une solution appropriée. Pour cela les enseignements donnés dans votre exposé sont très utiles. J’exhorte les lecteurs de cette page à la lire avec une grande attention et concentration car la lecture aussi est une forme d’écoute de l’autre. Donc les principes applicables sont semblables.

    L’écoute, dans la vie actuelle, est semblable à l’air que nous respirons. Elle est partie intégrante de notre vie quotidienne. Nous sommes dans un monde de communication avancée. On est en perpétuelle écoute (Physique, Radio, TV, Télphone). Donc il faut lui accorder une grande importance.

  15. adissam le 16 Sep 2012 à 0:40 15

    Un exemple d’aide grâce à l’écoute:

    « …regarde comme tu as réussi a sortir des périodes les plus noires de ta vie, alors qu’à ce moment-là, tu ne pensais vraiment pas pouvoir t’en sortir ». Soit je me répète ce genre de choses, soit je trouve LA personne qui a l’écoute qu’il faut et qui sait me réconforter, rien qu’en ouvrant son coeur et non par des conseils ou des mots qui ont souvent l’effet inverse, à savoir m’ enfoncer encore plus dans une noirceur, un mal être, un refus de ce qui m’arrive. L’écoute d’un autre, ou/et, parfois, une toute petite action de rien qui me redonne l’élan nécessaire pour m’éclaircir. »
    Commentaire de charlie le 14 sept 2012 à 21:16 dans l’article Deux paroles d’Ostad Elahi

    En relisant les deux, je n’ai pu m’empêcher de faire le lien.

    Il est même intéressant de noter dans cette expérience, qu’il y a même un bienfait à l’écoute de soi-même.

    Et j’ai remarqué que cette voie intérieure me guide quand je suis face à des questions difficiles; soit directement (« cela s’éclaire »), soit indirectement par une lecture, ou quelqu’un avec qui je parle du sujet,…

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