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Ostad Elahi dans Le Monde des Religions

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Dans son numéro de rentrée, Le Monde des Religions consacrait sa rubrique « Maître de sagesse » à la figure d’Ostad Elahi. L’article signé par Leili Anvar, maître de conférences à l’Institut national des langues et civilisations orientales et productrice à France Culture, empruntait la voie biographique pour introduire les idées-forces d’un enseignement éthique et spirituel que son auteur a voulu incarner dans les moindres détails de son existence. Nous en reproduisons ici le texte avec l’aimable autorisation de la rédaction du magazine. Référence : Leili Anvar, « Une âme du monde. Ostad Elahi », Le Monde des Religions, n°79, septembre octobre 2016, p. 58-61.

Pour le maître persan Elahi, c’est à l’épreuve du monde et des autres que l’homme peut atteindre plénitude et humanité.

Le destin de Nour Ali Elahi (1895-1974), connu plus tard sous le nom de Ostad* (« maître ») Elahi, renvoie à bien des égards à la quintessence de sa pensée, à sa vision du monde dont il a synthétisé les fondements en la qualifiant de « nouvelle médecine de l’âme ». En effet, il n’a eu de cesse d’étudier les réalités spirituelles, de les expérimenter dans sa propre vie et de les transmettre dans un enseignement ouvert sur l’universel. Car s’il a reçu en héritage la tradition ahl-e Haqq* dont il deviendra plus tard le connaisseur le plus reconnu, s’il a vécu en Iran où il a étudié la théologie et la philosophie islamiques, et s’il est pétri de culture persane au sein de laquelle la poésie rejoint l’éthique zoroastrienne, il n’en reste pas moins que pour lui, l’essentiel consiste à unifier la diversité des religions et des cultures dans une démarche qui est recherche du Vrai : « C’est dans leurs accessoires que les religions diffèrent les unes des autres, sinon, pour ce qui est des principes fondamentaux et du but recherché, elles disent toutes la même chose. » (Paroles de Vérité, 36)

Ce qui compte, c’est d’établir la « quintessence des religions », et d’en dégager les fondamentaux qui permettent aux êtres humains de parcourir leur perfectionnement spirituel. Car aux yeux d’Ostad Elahi, la finalité de la vie dans ce monde est de se réaliser spirituellement, c’est-à-dire de participer pleinement au Bien et au Vrai. Pour cela, il lui faut travailler à transformer la substance même de son être afin de la rendre apte à parfaire sa compréhension de la vérité.

Enfant prodige

Né le 11 septembre 1895 au sein d’une famille entièrement vouée à la vie spirituelle, d’un père vénéré de son vivant comme un saint, Nour Ali pratique dès son plus jeune âge les ascèses classiques : étude, veilles, oraisons, jeûnes, pèlerinages aux tombeaux des saints. Il s’initie également à la musique sacrée et en particulier au luth kurde (tanbûr*) dont il deviendra dès l’adolescence le maître incontesté. Enfant prodige, il montre d’ailleurs, dès l’âge de 6 ans, des dispositions exceptionnelles aussi bien sur le plan spirituel que dans le domaine musical.

« La musique doit être utilisée pour ses vertus spirituelles, et non pour sa dimension sensuelle. Moi-même, c’est en me plongeant dans la musique que j’ai souvent résolu des questions [spirituelles] importantes qui me préoccupaient. » (Paroles de Vérité, 226)

Jusqu’à la mort de son père en 1920, il vit donc dans le village reculé du Kurdistan iranien qui l’a vu naître, en retrait du monde, menant une existence fervente et joyeuse, entièrement vouée à Dieu, absorbée dans l’extase mystique et les visions intérieures. Plus tard, revenant sur ses souvenirs d’enfance, il comparera le monde où il a vécu à un paradis idyllique où il n’imaginait même pas que le mal pût exister.

Ce jardin d’Éden, il décide pourtant de le quitter afin de mettre à l’épreuve du monde l’enseignement spirituel qu’il a reçu. À ses yeux, la joie pure de la vie mystique, pour exaltante qu’elle est, ne permet pas à l’âme d’évoluer et de se perfectionner jusqu’à atteindre la plénitude à laquelle elle est destinée. Sans rien renier de l’héritage éthique et mystique transmis par son père, Nour entre donc dans une phase nouvelle de son existence. Abandonnant la robe blanche et les cheveux longs des derviches, il intègre la magistrature et reste au service de la justice pendant vingt-sept années. Doté de solides connaissances en philosophie et en théologie, il participe aussi, par ses fonctions, à la laïcisation du droit iranien qui s’opère à cette époque dans la vague de réformes pour la modernisation du pays sous le règne de Reza Shah (1925-1941). Mais surtout, il est amené, tout au long de sa carrière, à faire l’expérience de la matière humaine, à voir à l’œuvre le mal, l’injustice, la corruption, l’hypocrisie et à mener dans ce contexte un travail de vérité, de justice et de compassion, en ne déviant jamais de la ligne éthique qui est la sienne.

À l’épreuve des hommes

Dans cette expérimentation du monde, il acquiert la certitude que l’être humain n’est pas destiné à vivre hors du monde et loin des autres hommes. Bien au contraire, c’est dans le laboratoire de la société, au contact des autres, qu’il peut travailler, être mis à l’épreuve et évoluer vers son humanité véritable. C’est en interaction avec son prochain qu’il peut, d’une part, pratiquer les vertus éthiques et la justice en luttant contre ce qu’Ostad Elahi appelle « le soi impérieux » (cette instance qui, en chaque homme, le pousse au mal et à la négligence), et d’autre part, faire l’expérience de l’amour et de l’altruisme. Ainsi, « lutter contre le soi impérieux, disait-il, ne veut pas dire affaiblir le corps. Au contraire, il faut fortifier le corps, mais dans le même temps fortifier l’âme de telle sorte que malgré toute sa puissance, notre nature animale lui soit soumise. Cette méthode de lutte contre le soi impérieux est comme une nouvelle médecine destinée à la purification de l’âme, que j’ai élaborée à partir de mes propres expériences. Ce que j’ai acquis spirituellement durant mes douze années d’ascèses avant d’entrer dans la fonction publique ne vaut pas ce que j’ai acquis en une seule année passée dans la vie active ». (Paroles de Vérité, 322)

« Il y a dans le pardon un plaisir qu’il n’y a pas dans la vengeance. » (Maximes de guidance, 157)

L’attention est l’essentiel

La lutte contre l’ego, dont il est question dans nombre de spiritualités, n’est donc pas, chez Ostad Elahi, une lutte à mort. Il s’agit plus de se construire en retrouvant sa nature véritable, qui est, à l’origine, divine. Il s’agit de trouver le chemin d’une « spiritualité naturelle » dans laquelle le corps a des droits légitimes au même titre que l’âme. Il s’agit de trouver l’équilibre entre les quatre piliers que sont le corps, l’âme, ce monde et l’autre monde.

Durant toute sa période d’activité au sein de la société, et malgré ses engagements professionnels, Ostad Elahi maintient une pratique assidue de l’oraison, socle de la vie spirituelle. À ses yeux, les temps de prière étaient autant de moments privilégiés pour opérer un recentrement intérieur et entrer en dialogue avec son Créateur. Mais sa conception de la prière déborde de fait le cadre rituel et invite à un « état d’attention permanente à la Source » qui était son mode de vie : « L’essentiel, c’est l’intention et l’Attention; oui vraiment, l’Attention, l’Attention ! » (Paroles de Vérité, 198)

Dans toute action, toute pensée, à chaque instant de sa vie, il se sent habité par une présence bienveillante. Il voit l’Un présent et agissant en toute chose et il s’efforce d’agir dans les moindres détails de la vie quotidienne, comme dans les grands moments d’inspiration, conformément au contentement divin. C’est là la condition pour se connecter à son guide intérieur, être inspiré, prendre les décisions les plus justes concernant soi-même et les autres.

« La clé de voûte de la vie en ce monde, c’est le respect des droits d’autrui. » (Maximes de guidance, 81)

Ostad Elahi prend sa retraite en 1957 et se consacre à la transmission des connaissances acquises au cours d’une longue vie de recherches et d’expérimentations spirituelles. C’est à cette époque qu’il publie Borhân ol-Haqq (« Preuve de Vérité ») – ouvrage dans lequel il propose une mise au point critique des données orales de la tradition ahl-e Haqq afin de dégager les fondements de cette doctrine -, ainsi que Ma’refat ol-rûh (« Connaissance de l’âme ») – opuscule théologico-philosophique où il expose sa doctrine de l’âme et des vies successives ascendantes en la distinguant clairement de la métempsychose*.

Ces années sont aussi l’occasion pour lui de recevoir quelques personnes, venues pour écouter sa musique et qui, peu à peu, attirées par sa bienveillance et la sagesse qui émane de sa personne, sentant qu’elles avaient affaire à un être réalisé, commencent à l’interroger sur leur quête spirituelle et le monde de l’âme. Et c’est ainsi que les conversations se transforment en séances régulières au cours desquelles Ostad Elahi délivre son enseignement oral en parlant à bâtons rompus, évoquant aussi bien les petites choses de tous les jours que les principes qui régissent la vie dans ce monde et dans l’au-delà. Rencontres, anecdotes de la vie, lectures, il tire leçon de tout et invite ses élèves à entrer dans le long, difficile, mais exaltant chemin du Perfectionnement.

Plus tard, après son décès qui survient le 19 octobre 1974, cet enseignement, pris en note par les quelques privilégiés ayant assisté à ses séances, parut en deux volumes en persan sous le titre Âsâr-ol Haqq. Une sélection de ces paroles a été publiée en français sous le titre Paroles de Vérité. On y entend la voix à la fois ferme et douce d’Ostad Elahi, et on perçoit que ces paroles sont les mots d’un sage en son temps qui nous propose une sagesse pour notre temps.

LEXIQUE ET NOTES

Ostad ^

« Maître » en persan. C’est le titre donné à toute personne ayant atteint le sommet dans un art ou une branche de la connaissance. Dans le cas d’Ostad Elahi, il était à la fois maître du tanbûr et un être réalisé sur le plan spirituel.

La tradition ahl-e Haqq ^

L’ordre des ahl-e Haqq — ou yaresanisme —, littéralement « fervents du Vrai », a été fondé au XIVe siècle par Soltan Sahak, personnage hors du commun dont le destin est devenu légendaire. Cette doctrine originale et complexe réunit les religions anciennes de l’Iran, les éléments centraux de l’islam ésotérique et des mythes propres à la culture kurde. L’éthique ahl-e Haqq repose sur quatre piliers : pureté, rectitude, effacement de soi et charité. Socialement, cette spiritualité se manifeste par des rites spécifiques (offrandes, prières collectives chantées ou même dansées) qui assurent la cohésion d’une communauté d’environ un million d’adeptes répartis parmi les Kurdes d’Iran et d’Irak. Ostad Elahi, qui a grandi au sein de cette communauté et fréquenté les derniers détenteurs de cette tradition orale, expose dans Borhân ol-Haqq, ouvrage érudit et rigoureux, les principes fondamentaux de cette doctrine et sa dimension universelle.

Le tanbûr, luth sacré ^

Très jeune, Ostad Elahi est devenu le maître incontesté et inégalé du tanbûr kurde, une sorte de luth au manche long et fin utilisé parmi les ahl-e Haqq pour jouer de la musique sacrée et accompagner les hymnes spirituels. Il a ajouté une troisième corde à l’instrument, mis au point des techniques de toucher uniques en leur genre et développé le répertoire traditionnel du tanbûr en un art savant, profond et subtil. Il a pratiqué cet art toute sa vie durant, mais sans jamais le considérer comme un moyen de se mettre en avant. Il ne jouait que pour lui-même ou pour de petits cercles d’initiés, car il considérait la musique comme un moyen de se relier au Divin et donner de l’énergie à l’âme. Ceux qui ont eu roccasion de l’entendre jouer, musiciens professionnels ou simples profanes, témoignent tous de l’effet enivrant de son art et de l’impression d’assister à une expérience inouïe et suave, de sentir son âme s’ouvrir et grandir, comme emportée par cette musique des sphères.

Métempsychose ^

Terme dérivé d’un mot grec désignant le « déplacement de l’âme ». Idée selon laquelle une même âme peut animer successivement plusieurs corps.


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4 commentaires

  1. Wilhelm le 24 Nov 2016 à 19:21 1

    Rendre la complexité du spirituel compréhensible et accessible à tous, sans pour autant la schématiser ou la simplifier, est une démarche de spiritualité naturelle rendue abordable, étudiable et praticable par Ostad Elahi.

  2. ATIG le 25 Nov 2016 à 9:04 2

    Un grand merci à Leili Anvar pour ce bel article.

  3. A. le 27 Nov 2016 à 0:13 3

    « Mais sa conception de la prière déborde de fait le cadre rituel et invite à un « état d’attention permanente à la Source » qui était son mode de vie : « L’essentiel, c’est l’intention et l’Attention; oui vraiment, l’Attention, l’Attention ! » »

    Ce passage fait vraiment réfléchir. Il faudrait le relire au moins une fois par jour !

  4. acika le 18 Jan 2018 à 17:19 4

     » Mais sa conception de la prière déborde de fait le cadre rituel ….. »

    C’est vrai..

    Cependant j’attire votre attention que des personnes comme Ostad Elahi ou d’autres grands spirituels n’ont aucunement délaissé l’aspect purement rituel de la prière (toutes confessions confondues).

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