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Quand le grain de sable devient perle

Par , le 17 Mai. 2009, dans la catégorie Lectures - Imprimer ce document Imprimer
Un merveilleux malheur, Boris Cyrulnik

Un merveilleux malheur, Boris Cyrulinik, éditions Odile Jacob, (réédition de 2002)

Connu du grand public pour ses publications scientifiques sur la résilience Boris Cyrulnik est né à Bordeaux en 1937, de parents juifs d’origine russo-polonaise. Il devient orphelin suite à leur déportation en 1942 et intègre l’assistance publique. Il échappe lui-même miraculeusement à deux reprises à la déportation et retourne à l’école à l’âge de 11 ans. Il se passionne alors pour la natation, la nature et l’éthologie : l’étude du comportement animal mais aussi celui de l’homme qu’il étudiera plus tard par le truchement de la psychologie, de la neurologie et de la psychanalyse.

Ce livre fait partie d’une trilogie (Un merveilleux malheur en 1999, Les vilains petits canards en 2001 et Le murmure des fantômes en 2003) au travers de laquelle l’auteur poursuit son enquête sur la résilience qu’il faut entendre comme « la capacité à réussir à vivre et à se développer positivement, de manière socialement acceptable, en dépit du stress ou d’une adversité qui comportent normalement le risque grave d’une issue négative ». Dans ce premier tome, il explique le processus, le chemin à effectuer et le prix à payer. Il explique sa méthode d’enquête : «  Deux mots organiseront la manière d’observer et de comprendre le mystère de ceux qui s’en sont sortis et qui, devenus adultes, se retournent sur les cicatrices de leur passé. Ces deux mots étranges qui préparent notre regard sont « résilience et oxymoron » ».

Puisque nous avons fait référence précédemment à la résilience évoquons l’oxymoron : « le prix de la résilience c’est bien l’oxymoron. » Délaissons la définition du dictionnaire pour lui préférer les précisions de l’auteur : « Vu de l’extérieur, la fréquence de la résilience prouve qu’on peut s’en sortir. Vu de l’intérieur, on est structuré comme un oxymoron qui révèle la division intérieure de l’homme blessé, la cohabitation du ciel et de l’enfer, le bonheur sur le fil du rasoir », ou encore : « l’oxymoron devient caractéristique d’une personnalité blessée mais résistante, souffrante mais heureuse d’espérer quand même. »

Quel est alors ce « merveilleux malheur  » dont il est question ? « Un malheur n’est jamais merveilleux. C’est une fange glacée, une boue noire, une escarre de douleur qui nous oblige à faire un choix : nous y soumettre ou le surmonter. La résilience définit le ressort de ceux qui, ayant reçu le coup, ont pu le dépasser. L’oxymoron décrit le monde intime de ces vainqueurs blessés ». Nous voyons bien, à travers ces quelques citations que Boris Cyrulnik n’est pas qu’un clinicien qui observe de l’extérieur mais aussi un ancien traumatisé qui parle de l’intérieur. Et ceci, pour nous, renforce la crédibilité de ses propos.

Le processus de résilience intègre trois variables : le tempérament personnel, la signification culturelle du traumatisme et le soutien social. L’auteur y fait allusion de la façon suivante : « La résilience n’est pas une substance, c’est un maillage. Nous sommes tous contraints de nous tricoter avec nos rencontres dans nos milieux affectifs et sociaux ». Déportation, enrôlement dans une armée en guerre, inceste, viol, exil, maltraitance extrême : comment des enfants peuvent-ils résister à ces traumatismes ? Boris Cyrulnik évoque des « moyens de défense interne » tels que le déni qui « permet de ne pas voir une réalité dangereuse ou de banaliser une blessure douloureuse » ou l’intellectualisation d’une « théorie de vie » ou la compensation par la rêverie ou le clivage « quand le Moi se divise en une partie socialement acceptée et une autre, plus secrète ». L’humour enfin, qui « d’un seul trait, métamorphose une situation, transforme une pesante tragédie en légère euphorie ». Ces diverses attitudes permettent aux enfants de créer un espace interne inaccessible où ils peuvent résister et survivre. Une autre possibilité de restauration du moi est la rencontre avec un personnage « initiateur » ou des tuteurs de développement : un compagnon d’infortune, un adulte bienveillant, un enseignant, une grande soeur… Les enseignants et les éducateurs peuvent trouver écho à leurs pratiques dans ce message.

Les autres facteurs de dépassement sont liés à la parole libérée dont la première utilité est de tisser de l’affectivité, ce qui conduit l’auteur à affirmer  : « Je m’exprime pour m’imprimer dans l’autre ». D’ou l’importance, pour les traumatisés, de pouvoir avoir recours à des cellules de soutien psychologique et des groupes de parole. Mais il ne suffit pas de dire son malheur pour que tout soit réglé. En s’opposant à la mémoire collective, parfois négationniste ou atteinte d’amnésie collective, le traumatisé prend un risque énorme. De plus, le secret a une fonction défensive. On ne peut pas tout dire et les proches sont parfois plus altérés que les blessés eux-mêmes par les secrets révélés.

Son affirmation en début d’ouvrage « tout homme blessé est contraint à la métamorphose » est un réel message d’espoir qui ne plaît pas à tout le monde. On pourrait reprocher à Cyrulnik de rejoindre une vision de réussite parfois forcenée, véhiculée entre autres, dans la société américaine, par un concept tel que celui d’ « empowerment » ou prise en charge de l’individu par lui-même, de sa destinée économique, professionnelle, familiale et sociale. Il n’en reste pas moins que ce concept de résilience a un impact réel en partie parce qu’il a été vécu, expérimenté par l’auteur lui-même. C’est une formidable leçon d’optimisme car nous sommes tous concernés, à un moment ou à un autre de notre histoire personnelle et sociale

En revanche, nous pouvons nous demander pourquoi certains s’en sont sortis, et d’autres pas. Quelle est cette force, d’où vient-elle ? Quelle est sa nature : innée ou acquise ? Génétique ? Spirituelle ? Construite au fil de l’histoire et des rencontres individuelles ? Ces questions restent sans réponse dans ce livre. Cependant Boris Cyrulnik met l’accent sur l’aspect adaptatif et évolutif du moi ; l’analogie finale avec la perle de l’huître est saisissante : « Ni acier, ni surhomme, le résilient ne peut pas échapper à l’oxymoron dont la perle de l’huître pourrait être l’emblème : quand un grain de sable pénètre dans une huître et l’agresse au point que, pour s’en défendre, elle doit sécréter la nacre arrondie, cette réaction de défense donne un bijou dur, brillant et précieux. »

Sa conclusion, elle, incite le lecteur à poursuivre la réflexion : « Alors nous changerons notre regard sur le malheur et, malgré la souffrance, nous chercherons la merveille » et invite, chacun de nous, au dépassement de soi dans la restauration du soi.


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4 commentaires

  1. Marco le 24 Mai 2009 à 17:58 1

    Merci pour cette fiche de lecture. Je n’ai jamais rien lu de Boris Cyrulnik qui est pourtant très connu dans le monde de la psychologie. J’ai donc l’intention de le découvrir avec cet ouvrage. Je n’ai pas compris ce que voulait dire oxymoron…on verra ça en lisant le livre.

  2. MH le 23 Juin 2009 à 9:44 2

    J’entrevois dans ce livre, en effet, un grand message d’espoir… Pas seulement pour ceux qui souffrent terriblement de faim, de la guerre, d’un viol, etc. mais aussi TOUS !
    Car des épreuves, sur cette terre, nous en avons tous – comme si elles étaient nécessaires !
    Et nous devons les surmonter, coûte que coûte !

    Parfois, elles nous font si mal qu’on les trouve injustes ou injustifiées, mais de toute façon, nous les subissons, et si nous n’avons pas ce regard positif et la volonté de plonger en soi pour trouver la force, nous serons vite submergés par elles et rongés par le désespoir…

    J’ai un jeune frère qui est très pessimiste… De toutes les choses qui arrivent, nous les voyons de manière opposées ! Lui les voit toujours en noir, et moi, toujours d’un bon côté ! C’est étrange…
    Et je dois dire que la vie m’est bien plus agréable que lui !
    Il lui arrive toutes sortes d’accidents.
    Quant à moi, je dois dire qu’il m’arrive aussi des désagréments, mais jamais aussi graves, et surtout, ils ne m’atteignent jamais aussi profondément qu’à lui, ses propres accidents.

    La mort de son chien l’a bouleversé, et lorsque j’ai dit que son cher toutou (adorable, c’est vrai !) était toujours là…, il m’a rétorqué, méchamment et douloureusement : « Non ! il est mort ! calciné dans un four ! ». Je voulais lui dire qu’il est toujours LÀ dans son cœur ! et qu’il devait s’en souvenir avec douceur…sans amertume…
    Il n’avait pas pensé comme ça.
    Il n’est pas heureux, mon frère… et je passe pour une heureuse crédule et un peu simplette!

    N’empêche que je suis bien plus heureuse, c’est vrai !
    😉

  3. radegonde le 08 Sep 2011 à 19:19 3

    B.Cyrulnik avait évoqué dans un livre un enfant (lui??) qui discutait tous les jours avec un soldat allemand dans un camps de concentration, et le soldat lui parlait de ses enfants,lui montrait des photos.. ce lien a permis à l’enfant de grandir ..et surement au soldat de tenir bon.
    Donc, les rencontres positives peuvent exister dans tous les milieux , même les pires ; Et que l’on peut ainsi continuer à vivre..

    Nous avons en nous cette possibilité encore faut-il trouver la personne qui aide à la résilience!!

  4. La perle le 10 Mai 2012 à 13:25 4

    J aimerais par ce biai remercier l auteur pour un texte si profond et touchant et tellement vrai pour moi.
    J ai eu un double cancer du sein en 2007 et à travers la maladie ( ce grain de sable ) j ai eu la chance de pouvoir toucher à l essentiel … Mon essence divine.
    J ai découvert pas a pas cette perle au fond de mon ÊTRE.
    Je peux dire haut et fort aujourd hui. JE VIS. Diana Varisco

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