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Nos émotions, notre vrai capital

Par , le 6 Sep. 2008, dans la catégorie Lectures - Imprimer ce document Imprimer
L'intelligence émotionnelle, Daniel Goleman

L’intelligence émotionnelle, volume 1, ou comment transformer ses émotions en intelligence, Daniel Goleman, éditions Robert Laffont, 1997

L’auteur, né en 1946, est Docteur en psychologie. Il fut, tour à tour, professeur à l’université d’Harvard et journaliste scientifique au New York Times où il fut en charge des sciences du comportement. Ses recherches universitaires et sa curiosité de journaliste l’amenèrent à initier ou à superviser des études et des enquêtes, de 1980 à 1993, qui lui permirent d’étayer et d’illustrer les constats et les idées qu’il développe dans le présent ouvrage. Ceci n’en fait pas un ouvrage scientifique pour autant (la psychologie est-elle une science ? ) mais un excellent livre de vulgarisation qui vient bousculer les a priori sur l’antagonisme raison / émotion et battre en brèche la pertinence du QI. Bien que l’on ne puisse pas lui accorder la paternité du concept « d’intelligence émotionnelle », Daniel Goleman en est indéniablement le vulgarisateur.

L’auteur démontre dans ce livre que le quotient intellectuel et nos capacités rationnelles, valorisées depuis toujours par le système éducatif traditionnel, ne déterminent pas la réussite personnelle d’un individu. Les aptitudes émotionnelles que l’on peut également appeler « quotient émotionnel » ou QE par opposition au QI sont en effet prépondérantes dans la réussite de nos projets, de nos métiers et de nos relations. Il affirme, exemples pratiques à l’appui, que la maîtrise des émotions est une clef indispensable du développement de soi, qu’elle s’enseigne comme n’importe quelle discipline et que parents, enseignants et adolescents pourraient en tirer profit avantageusement si elle était intégrée dès l’enfance au processus cognitif.

Au long des cinq parties de l’exposé, nous découvrons la topographie de notre cerveau et la localisation du siège de nos passions, cette petite glande oblongue, dénommée amygdale. C’est elle qui commande toutes nos émotions et son réseau d’informations est beaucoup plus rapide que celui du cerveau traditionnel : « ce piratage se produit en un instant et déclenche ces réactions fatales avant même que le cerveau pensant, le néocortex, n’ait pu comprendre ce qui se passe. Il se caractérise avant tout par le fait que l’individu ne sait pas ensuite ce qui lui a pris », mais elle peut être tempérée par notre néocortex préfontal si nous lui en laissons le temps.La clarté des informations données à ce stade sur la recherche en neurosciences et le récit imagé d’un coup d’état neuronal, véritable « tsunami émotionnel », (qu’il s’agisse d’un fou rire, d’un coup de foudre ou d’un accès de colère) permettent de rentrer facilement dans le sujet, de se sentir concerné et de comprendre que nous possédons deux esprits : « Le premier, l’esprit rationnel, est le mode de compréhension dont nous sommes en général plus conscient : pondéré, réfléchi, faisant sentir sa présence. Mais il existe un autre système de connaissance, impulsif, puissant parfois illogique : l’esprit émotionnel. »

Nous sommes tous à la merci de nos passions et de nos impulsions et ce n’est pas un QI élevé qui nous en mettra à l’abri. En revanche, l’intelligence émotionnelle, c’est-à-dire : « l’empathie, l’aptitude à se motiver et à persévérer dans l’adversité, à maîtriser ses pulsions et à attendre avec patience la satisfaction de ses désirs, la capacité à conserver une humeur égale et de ne pas se laisser dominer par le chagrin au point de ne plus pouvoir penser, la capacité d’espérer, etc. » Aura une influence primordiale sur notre aptitude à réagir aux vicissitudes de la vie. De la bonne coopération de ces deux esprits dépendra notre vie intérieure et par conséquent notre vie affective et sociale. L’équilibre, c’est-à-dire la justesse de nos émotions, reste à trouver !

Attachons-nous maintenant à la pertinence des trois principaux constats. La cellule familiale est notre première école et les leçons données par les parents sont les plus efficaces et constituent les bases de « l’intelligence émotionnelle » qui va de pair avec l’éducation du caractère et l’éducation civique : « A QI égal, les enfants de cinq ans dont les parents sont de bons mentors obtiennent de meilleures notes en mathématiques et en lecture quand ils atteignent le cours élémentaire. Ainsi, les bénéfices pour les enfants dont les parents sont émotionnellement compétents ne se limitent pas á tous les aspects de l’intelligence émotionnelle mais englobent tous les domaines de l’existence ». Ainsi, le sérieux et la sensibilité avec lesquels les parents répondent aux besoins de l’enfant, les occasions et les conseils dont il bénéficie pour apprendre à dominer ses contrariétés et ses pulsions sont déterminants dans l’apprentissage de la maîtrise des émotions.

Ensuite, ceux qui n’ont pas bénéficié d’une telle éducation, ceux qui ont connu des traumatismes ou sont victimes de l’hérédité, pourront, au fil des expériences, des conseils ou d’une thérapie, réajuster l’intensité de leurs émotions car la plasticité du cerveau et sa capacité à apprendre sont réelles. Il est donc possible de compenser les carences par une éducation appropriée qui met plus l’accent sur la pratique que sur la théorie.

Enfin, dans la mesure où nos émotions bloquent ou amplifient notre capacité à penser, elles définissent les limites de notre aptitude à utiliser nos capacités mentales innées et décident donc de notre avenir. Daniel Goleman précise que si nous n’avons pas la maîtrise du moment et de l’intensité de nos émotions, nous pouvons cependant, dans notre intérêt, en limiter la durée.

Ce livre, dont le grand mérite est de résumer dix années de recherches sur la connaissance et la maîtrise de soi, propose, en un langage clair et accessible au grand public, des solutions dont le management a tout de suite compris l’importance. Elles ont ainsi trouvé très rapidement des applications au sein des sociétés les plus performantes mais l’éducation publique américaine, elle, fut beaucoup plus frileuse à mettre en place des programmes éducatifs appropriés nécessitant une remise en cause des pratiques habituelles.

Il aurait été intéressant qu’au-delà de la description physiologique et biologique de nos émotions, l’auteur traite plus longuement de la contagion des émotions et développe le processus de manipulation si familiers aux créateurs de modes en tout genre, aux gourous, aux hommes politiques et aux commerciaux :« la façon dont le vendeur d’un magasin nous accueille peut nous donner l’impression qu’il nous ignore, qu’il ne nous aime pas, ou au contraire qu’il apprécie notre personne. Les émotions s’attrapent comme une sorte de virus social. »

On peut cependant penser que le succès planétaire de ce livre a permis de sortir « l’intelligence émotionnelle » et l’éducation des émotions, de la marginalité. Un ouvrage à recommander à tous ceux qui s’intéressent au travail sur la connaissance de soi, aux éducateurs et donc aux parents. À nous de le mettre en application dans notre propre vie et de lui donner l’écho qu’il mérite.

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4 commentaires

  1. Mahaut le 29 Oct 2008 à 10:58 1

    La compréhension expérimentale du cerveau vient de faire un nouveau bond, que je voudrais vous faire partager.

    Si Daniel Goleman dans son livre paru en 1995 aux USA, a exposé l’objet de ses recherches sur l’intelligence émotionnelle, par lequel, il remettait en cause la conception traditionnelle de l’intelligence, qui laissait de côté les émotions régissant pour une grande partie le comportement humain. Il situait alors seulement le siège des émotions dans l’amygdale.

    Depuis, l’équipe de Giacomo Rizzolatti, directeur du département de neurosciences de la faculté de médecine de Parme a effectué des recherches en neurosciences. Ils ont dans un premier temps observé dans le cortex prémoteur ventral du singe (aire F5) et par la suite, dans le lobule pariétal inférieur, un nouveau type de neurones dits neurones-miroirs, puis ils ont transposé toutes ces recherches à l’homme.

    Giacomo Rizzolatti, professeur de physiologie humaine et Corrado Sinigaglia, professeur de philosophie viennent d’exposer toutes ces découvertes majeures dans un livre « Les neurones-miroirs », paru en décembre dernier.

    Ces neurones-miroirs sont rien de moins que les promoteurs du langage, ils expliquent pourquoi nous parlons avec nos mains, ils rendent compte de nos émotions et sont même le mécanisme de notre compréhension d’autrui

    Ces neurones s’activent non seulement quand on effectue une action, mais aussi lorsqu’on voit quelqu’un d’autre la réaliser lui-même. C’est dire combien ces neurones-miroirs jouent un rôle dans nos capacités cognitives liées à la vie sociale, dans l’empathie et l’imitation. Faire quelque chose et imaginer le faire ne reviennent pas au même, mais pour notre cerveau, il se pourrait bien que, la pensée et l’action soient une seule et même chose.

    Même Peter Brook s’est exprimé au sujet des neurones-miroirs et a dit que les neurosciences commençaient à comprendre ce que le théâtre savait depuis toujours

    Extrait de ce livre dans l’introduction :

    Il y a quelque temps, Peter Brook a déclaré dans une interview qu’avec la découverte des neurones miroirs les neurosciences commençaient à comprendre ce que le théâtre savait depuis toujours. Pour le célèbre dramaturge et metteur en scène britannique, le travail de l’acteur n’aurait aucun sens si, par-delà toute barrière linguistique ou culturelle, il ne pouvait partager les bruits et les mouvements de son propre corps avec les spectateurs, en les fai­sant participer à un événement qu’ils doivent eux-mêmes contribuer à créer. Cette participation immédiate, sur laquelle le théâtre fonde sa réalité et sa légitimité, trouverait ainsi une base biologique dans les neurones miroirs, capables de s’activer aussi bien durant la réalisation d’une action que lors de l’observation de cette même action par d’autres individus.
    Les considérations de Peter Brook montrent l’intérêt exceptionnel que la découverte de ces neurones a suscité au-delà des frontières de la neurophysiologie. Leurs propriétés singulières interpellent non seulement les artistes, mais également les chercheurs en psychologie, en pédagogie, en sociologie, en anthropologie, etc. Bien peu, cependant, connaissent l’histoire de leur découverte, les recherches expérimentales et les présupposés théoriques qui ont rendu possible cette découverte, ainsi que ses implications pour notre façon de comprendre l’architecture et le fonctionnement du cerveau.

    C’est précisément cette histoire que ce livre se propose de raconter. Une histoire qui commence avec l’analyse de certains gestes (comme atteindre un objet avec la main et s’en saisir, porter un aliment à la bouche), que nous avons tendance à sous-estimer en raison même de leur familiarité, et qui a pour protagoniste le système moteur auquel les neurosciences – mais pas seulement elles ! – ont longtemps assigné un rôle de second plan, en le réduisant souvent à celui de simple comparse.

    Il en découle qu’il est urgent, de nous connaître nous-mêmes, d’être très conscients, d’étudier, pour échapper à nos déterminismes, afin de ne pas être un prédateur, tant pour soi-même et pour les autres, et afin déjà de bien vivre ensemble.

  2. bernard le 21 Déc 2008 à 1:15 2

    J’ai eu ce livre de monsieur Goldman il y a 6 ans par mon ancien directeur un homme brillant à la carrière internationale très reconnue. C’est un homme respecté et integre qui s’est toujours distingué par rapport à tous les autres managers que j’ai connus.
    Lorsqu’il m’a offert ce livre, il m’a dit voila le secret de ma réussite professionnelle.
    J’ai beaucoup lu ce livre et j’utilise les conseils presque quotidiennement au travail. Un exemple de la mise en pratique concerne ma gestion des e-mails. Qui un jour dans le travail n’a pas reçu un e-mail désagréable avec envie de répondre sur le champ poussé par une pulsion de colère. C’est justement sur ce point que j’ai mis en pratique l’intelligence émotionnelle, à savoir, repousser la réponse à ce gendre d’e-mail au lendemain lorsque j’ai la maitrise de mes émotions. J’ai remarqué que rien que ce petit point a vraiment modifié ma relation dans le travail beaucoup moins conflictuel et donc augmenter mon efficacité.
    Néanmoins, je me pose la question s’il n’y aurait pas d’autres domaines comme la recherche d’une certaine forme de transcendance où l’intelligence émotionnelle serait un outil aussi efficace que la vie professionnelle.

  3. Olaf_le_Preux le 10 Juin 2009 à 10:24 3

    A ce sujet, on peut puiser de grandes richesses dans les travaux de Jacques Fradin et d’Antonio Damasio : l’analyse des différents « cerveaux » (limbique, néo-cortex,…) permet de situer le siège des différents évènements mentaux selon leur typologie. C’est assez bluffant…

  4. Camille le 01 Sep 2009 à 22:28 4

    Merci d’avoir sous-titré la conférence, ça aide ! Goleman parle d’une révélation, j’en ai eu une aussi en l’écoutant. Rien de nouveau, mais j’ai souvent remarqué que des choses qu’on a déjà entendues cent fois soudain vous touchent. Voilà: ces étudiants du Séminaire de Princeton qui réfléchissent à la parabole du bon Samaritain, mais ne voient pas l’homme sur le bord de la route. Eh bien moi, je me targue de m’intéresser à l’éthique, aux grands principes, etc., mais je ne les vois pas plus, les gens qui ont peut-être besoin d’aide. Alors, bien sûr, comme tout le monde, je suis prise dans la transe de notre vie moderne, j’ai toutes sortes d’excuses ; mais quand même, je m’intéresse à l’éthique depuis longtemps, j’y réfléchis, j’étudie, je sais même que si la théorie est importante, elle ne sert pas à grand chose si elle n’est pas alliée à une pratique. Tout ça, je le sais, mais qu’est-ce que je FAIS ? Donc, voilà : je vais essayer d’être plus attentive aux autres, à commencer par ceux qui sont proches de moi, les écouter, surtout si je suis en retard, pressée, etc. Comme hier où je me suis forcée à écouter gentiment une de mes co-propriétaires (que j’évite souvent parce qu’elle a tendance à ne plus s’arrêter de parler), alors que j’allais vite vite faire des photocopies juste avant que le magasin ne ferme. Je sais que je vais être confrontée à toutes sortes de questions – les priorités, mes motivations véritables, mon organisation, ma gestion du temps, etc. mais tout ça, c’est la pratique et ça nourrit la théorie.

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