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La bonté humaine

Par , le 24 Sep. 2012, dans la catégorie Lectures - Imprimer ce document Imprimer
La Bonté humaine, Jacques Lecomte

La bonté humaine. Altruisme, empathie, générosité. Jacques Lecomte, Odile Jacob, mars 2012

Voici un ouvrage qui jette un pavé dans l’océan des idées reçues sur la nature humaine. Nombre de théories – dans l’ordre d’arrivée, théologique, philosophique, économique, psychanalytique… –, qui ont profondément influencé notre vision de l’homme et par delà, l’élaboration des rapports sociaux, sont fondées sur une conception foncièrement égoïste et violente de cette nature humaine. C’est-à-dire de chacun d’entre nous en fait…

Or, aucun fondement scientifique ne vient étayer ces théories. Les recherches récentes et nombreuses en psychologie de l’enfant, psychologie sociale, neurobiologie, anthropologie et économie expérimentale montrent même exactement le contraire : l’homme a des dispositions innées à la bonté, au partage, à l’altruisme.

Mais alors, les peuples premiers, si souvent présentés comme féroces, signe d’une violence génétiquement inscrite dans l’humanité ! De l’imagination née d’anthropologues à succès mais peu scrupuleux. Mais les actes de pillage et de barbarie qui suivent les grandes catastrophes naturelles ! Des montages médiatico-politiques. Et la jouissance des soldats ou des exécuteurs au moment de tuer ! Dans la très grande majorité des cas, une vue de l’esprit (cinématographique peut-être) ou le fruit de conditionnements. Alors l’idée que tout acte d’altruisme est motivé par l’égoïsme ! Une conception véhiculée par des égoïstes intellectuellement puissants projetant leur propres travers sur l’humanité entière ou généralisant abusivement des observations contextuelles. Etc.

Pour chacune de ces déconstructions, les références abondent dans un langage clair et accessible aux non scientifiques. L’auteur précise qu’il ne s’agit bien sûr pas de nier la violence ou l’égoïsme mais de comprendre qu’ils sont peut-être le fruit d’une forme de stigmatisation liée notamment à la négation ou l’ignorance du fond qui constitue notre véritable humanité.

Organisée en deux grandes parties – 1) description et explicitation de situations typiques et 2) fondements scientifiques de la bonté humaine – la démonstration semble si pertinente que l’on en vient à se demander comment des idées fausses (et perverses) ont pu si profondément et si longuement modeler notre vision de l’être humain. L’auteur nous indique quelques pistes dans ses annexes, dévoilant les illusions d’optique qui font que nous sommes bien souvent persuadés de la méchanceté fondamentale de l’être humain et pointant du doigt les verres grossissant et déformant qui participent de cette illusion : notre fonctionnement psychologique, la culture, une longue imprégnation idéologique par certains courants philosophiques, religieux et en sciences humaines, et les médias, véritables exhausteurs du goût et de la peur de la violence.

Concluons : les actes de bonté ordinaire inondent notre quotidien mais on les voit peu ou l’on en parle peu. La remise en question fondamentale est donc celle de nos modèles éducationnels, construits sur une vision erronée de l’être humain, favorisant la compétition de préférence à la coopération, la répression et la punition (pour « redresser » la nature violente et égoïste) de préférence à la valorisation et à l’éducation éthique, orientant ainsi notre rapport à nous-mêmes et aux autres et déterminant (les dysfonctionnements de) nos structures sociales.

La question sur l’origine de la bonté humaine, comme celle de l’égoïsme, reste entière. Mais à n’en pas douter, le développement de la psychologie positive, dont Jacques Lecomte est un fervent promoteur, permettra, en interaction avec d’autres sciences, de nous faire pénétrer plus profondément dans la compréhension de notre nature véridique.


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9 commentaires

  1. Cogitons le 24 Sep 2012 à 17:56 1

    – Intéressant, mais fort malheureusement, la sortie (est-ce l’auteur du livre ou de l’article ?) sur: « Une conception véhiculée par des égoïstes intellectuellement puissants projetant leur propres travers sur l’humanité entière ou généralisant abusivement des observations contextuelles » relève, me semble-t-il, plus du jugement à l’emporte-pièce, voire de l’imprécation paranoïaque, que de l’argumentation sérieuse et étayée.
    Bref, je viens d’avoir la désagréable impression de lire un tract politique ou religieux.

    – « les actes de bonté ordinaire inondent notre quotidien mais on les voit peu ou l’on en parle peu. » Entièrement d’accord, argument déjà employé ici pour contrer le sentiment de supériorité ou de pureté de soi face aux autres (croyants ou pas) et plus généralement, à « une société pourrie ». Si l’homme n’était qu’un loup pour l’homme, la race humaine se serait éteinte depuis belle-lurette, et nous ne vivrions pas en paix aujourd’hui dans des mégalopoles comptant parfois plusieurs dizaines de millions d’habitants. Peace.

  2. ia le 25 Sep 2012 à 15:39 2

    Je suis d’accord que la formulation « Une conception véhiculée par des égoïstes intellectuellement puissants projetant leur propres travers sur l’humanité entière ou généralisant abusivement des observations contextuelles » puisse sembler mal choisie, mais au quotidien, dans ce pays, il est triste de voir à quel point les personnes de tout âge semblent cyniques ou méfiants. Lorsque je rapporte des expériences d’autres pays où il est coutume au quotidien de sourire, de bavarder avec les gens du quartier, du café du coin, où les gens qu’on connait pas ou à peine se montrent tout simplement affables et doux- la toute première réaction est presque toujours la même: mais c’est qu’ils attendent quelque chose ou bien c’est de l’hypocrisie. Cela m’attriste pour eux. Comme s’ils n’avaient jamais vécu la bonté, la gentillesse ou la douceur et que la mauvaise humeur et la tension étaient leurs seul univers pour qu’ils l’aperçoivent comme le comportement sincère et honnête par défaut.

    Survie, oui, mais moi, je ne pourrais vivre si cette conviction de certains était vraie et si je ne recevais au quotidien, ou au moins pendant les vacances ma dose d’amour du prochain. (Et de pouvoir le donner sans peur de réactions négatives.)

  3. Cogitons le 25 Sep 2012 à 22:18 3

    Cynisme. J’avoue en avoir une certaine quantité en magasin et qu’il est souvent plus facile et naturel de s’y adonner que de faire preuve de fraîcheur d’âme. Il me semble qu’il s’agit d’une tournure d’esprit très française. L’exception culturelle… Les français ne sont-ils pas d’ailleurs, d’après les sondages, le peuple le plus pessimiste du monde?
    « Cynisme et pessimisme sont les deux mamelles de la France. »
    Par contre, je ne vois pas tout à fait le rapport avec l’article ci-dessus qui fleure décidément la mitrailleuse lourde.

  4. Louise le 29 Sep 2012 à 10:59 4

    En réponse à Cogitons : C’est vrai que cet article peut provoquer une réaction comme la vôtre, mais ne serait-il pas plus judicieux de lire tout d’abord ce livre pour juger par vous-même de quoi il en retourne.

    En réponse à Ia : je vis en province où les gens prennent le temps de se dire bonjour, de s’arrêter pour discuter, de boire un café ensemble, etc. etc. Et où il s’étonnent comme vous le faites de la précipitation, de l’indifférence et, hélas, de la suffisance des citadins.
    Il faut comparer ce qui est comparable. La vie dans les mégalopoles contemporaines sont très « particulières ». Mais ce n’est pas « toute la vie » et encore, j’en suis sûre, certains savent y vivre « humainement » et sans se plaindre.

  5. mahaut le 29 Sep 2012 à 22:49 5

    – « La question sur l’origine de la bonté humaine, comme celle de l’égoïsme, reste entière.

    Ca, hum ! Est-ce que c’est si sûr ? La violence est le produit de l’ignorance. L’homme qui sait ce qu’il fait, n’agit pas contres ses intérêts. (et il n’est pas violent !)

    – « Mais à n’en pas douter, le développement de la psychologie positive, dont Jacques Lecomte est un fervent promoteur, permettra, en interaction avec d’autres sciences, de nous faire pénétrer plus profondément dans la compréhension de notre nature véridique ».

    C’est curieux, il y a 2500 ans Platon a répondu et proposé des solutions avec sa maïeutique, pour nous aider à réfléchir

    Nul n’est méchant volontairement et pour sortir de la violence et changer la société, il faut se changer soi même.

    Jacques Lecomte exprime différemment ces mêmes choses qui sont universelles et de tous les temps !

    Revenons aux fondamentaux de Platon et lisons avec lui La République !

    Livre 4
    Or l’expression « maître de soi-même » n’est-elle pas ridicule? …….
    Mais cette expression me paraît vouloir dire qu’il y a dans l’âme humaine deux parties : l’une supérieure en qualité et l’autre inférieure; quand la supérieure par nature commande à l’inférieure, on dit que l’homme est maître de lui-même – c’est un éloge assurément; mais quand, par le fait d’une mauvaise éducation ou de quelque mauvaise fréquentation la partie supérieure, qui est plus petite, se trouve dominée par la masse des éléments (431b) qui composent l’inférieure, on blâme cette domination comme honteuse, et l’on dit de l’homme dans un pareil état qu’il est esclave de lui-même et déréglé. Cette explication me paraît juste, dit-il.

    Livre 9
    En ce qui concerne les désirs, leur nature et leurs espèces, il me semble que nous avons donné des définitions insuffisantes; et tant que ce point sera défectueux, l’enquête [571b] que nous poursuivons manquera de clarté.
    Mais n’est-il pas encore temps d’y revenir?
    Si, certainement. Examine ce que je veux voir en eux. Le voici. Parmi les plaisirs et les désirs non nécessaires, certains me semblent illégitimes (609) ; ils sont probablement innés en chacun de nous, mais réprimés par les lois et les désirs meilleurs, avec l’aide de la raison, ils peuvent, chez quelques-uns, être totalement extirpés ou ne rester qu’en petit nombre et affaiblis, tandis que chez les autres ils subsistent plus forts et plus nombreux. [571c]
    Mais de quels désirs parles-tu?
    De ceux, répondis-je, qui s’éveillent pendant le sommeil, lorsque repose cette partie de l’âme qui est raisonnable, douce, et faite pour commander à l’autre, et que la partie bestiale et sauvage, gorgée de nourriture ou de vin, tressaille, et après avoir secoué le sommeil, part en quête de satisfactions à donner à ses appétits. Tu sais qu’en pareil cas elle ose tout, comme si elle était délivrée et affranchie de toute honte et de toute prudence. Elle ne [571d] craint point d’essayer, en imagination, de s’unir à sa mère (610), où à qui que ce soit, homme, dieu ou bête, de se souiller de n’importe quel meurtre, et de ne s’abstenir d’aucune sorte de nourriture (611); en un mot, il n’est point de folie, point d’impudence dont elle ne soit capable.

    Phèdre 238 c
    « L’amour est un désir. Quand c’est le goût rationnel qui nous dirige, sa domination prend le nom de tempérance : quand c’est un désir déraisonnable qui nous pousse au plaisir, son nom est intempérance. Celui qui est livré à la passion et asservi à la volupté cherchera nécessairement à tirer de celui qu’il aime tout le plaisir possible ; or un esprit malade trouve son plaisir dans la soumission qu’on a pour lui. Il travaillera donc sans cesse à rabaisser ce qu’il aime. Il n’échappera pas non plus à la jalousie…..

    Par la pensée positive, on vise le bien en permanence, et pour viser ce bien, il faut nécessairement échapper à l’ignorance en nous connaissant nous-mêmes.

    Mettons nous y sérieusement et nous pratiquerons la pensée positive !! Commençons par nous-mêmes, si nous voulons vivre ou donner un autre monde à nos enfants. Bon courage !

  6. Cogitons le 30 Sep 2012 à 12:25 6

    @Louise, vous avez raison.
    Mais quand je lis (et là, il s’agit de l’auteur du livre) « il ne s’agit bien sûr pas de nier la violence ou l’égoïsme mais de comprendre qu’ils sont peut-être le fruit d’une forme de stigmatisation liée notamment à la négation ou l’ignorance du fond qui constitue notre véritable humanité » je dis « ouch ». Super-« ouch », même.
    La violence et l’égoïsme seraient donc le fruit d’un malentendu, d’une méconnaissance, ou d’un refoulement de notre bonté innée ?
    Et soudain, je n’ai vraiment pas envie de lire ledit livre.
    Mais si le fait de penser que vous êtes, « dans ce qui constitue votre véritable humanité », infiniment bon ou bonne, infiniment généreux ou généreuse, vous aide à le devenir, alors qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse. Croyez-le, que ce soit vrai ou faux !
    Pour ma part, je n’ai pas remarqué en général que la croyance (étayée scientifiquement ou non), que la conception que l’on a de soi-même, contribue grandement et surtout pas instantanément à changer le fond et les dispositions de la personne, à la rendre, par nature, plus ou moins égoïste, ou plus ou moins violente.
    Les progrès de la science, à commencer par l’assurance d’avoir un toit sur sa tête et du pain sur sa table, auront sans doute plus contribué à la paix dans le monde que toutes les croyances, les philosophies et les psychologies réunies.
    Au passage, considérons que nos « sociétés modernes », que l’on aime tant à critiquer, quand-bien même elles seraient imprégnées « d’idées fausses (et perverses) », sont de loin les moins violentes et les moins égoïstes de l’histoire humaine.
    Des mérites du mensonge et de la perversion…

  7. ia le 30 Sep 2012 à 13:12 7

    En réponse à Louise: Oui, vous avez raison. Je (ou on) tombe très facilement dans le jugement d’autrui et dans la comparaison (pays, ville/province, etc.) alors que j’ai déjà fait l’expérience de l’effet au quotidien d’un changement de perspective; lorsque je me rappelle ma dimension spirituelle et de « voir le bien », être moi-même plus patiente, plus bienveillante avec les autres les rapports changent radicalement la plupart du temps. Telle guichetière me sourit et se détend, telle personne m’aide à un moment où je suis en difficulté, ou des collègues qui m’étaient invisibles avant du coup deviennent des personnes au quotidien qui m’apportent soutien ou des petites joies au quotidien par leur façon d’être, un sourire ou un bonjour. Je sais que « je » dois changer ma façon d’être et de voir et ne pas juger les autres.

    Peut-être est-ce là une manière aussi d’accroître sa bienveillance envers autrui lorsqu’on se
    rend compte avec quelle facilité soi même on devient un acteur tendu et négatif alors qu’au fond on ne pense pas l’être.

    J’ai commencé à lire le livre de Jacques Lecomte avec beaucoup d’intérêt et trouve très important cette recension qu’il fait des travaux récents sur le comportement de l’être humain et qu’il donne à voir pour un plus grand public grâce à sa publication accessible à tous.

    Quand on ouvre les yeux on les voit, les actes de bonté, c’est vrai. Hier un ami m’a raconté comment il est passé de service administratif en service administratif avec un problème normalement difficile et toutes les personnes avec qui il avait à faire ont tout fait pour l’aider de sorte à ce que son problème soit résolu. Je sais que cette personne travaille sur elle-même et ce n’est pas juste de la « chance ». Elle cherche à ne pas être désagréable envers les autres et ne considère jamais avoir un dû.

  8. radegonde le 03 Fév 2013 à 23:52 8

    Michel SERRE disait ce matin à la radio que « la Bonté » on ne la voit pas au quotidien, puisqu’on ne parle que de la violence dans les média surtout. Donc la « Bonté » draine des dons qui font fonctionner beaucoups d’associations, qui elles apportent du Bien.

    Cette BONTE serait la 7° économie mondiale, et sans faire de bruit..
    Donc l’homme est capable de « bonté et de discrétion »….

  9. stephane136 le 24 Oct 2013 à 8:56 9

    La priorité des priorités est la connaissance de soi. La psychologie enseignée dès l’adolescence serait une belle approche à l’accomplissement de cette connaissance.

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