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Ostad Elahi : l’humanité en acte

Par , le 11 Sep. 2014, dans la catégorie Articles - Imprimer ce document Imprimer
Ostad Elahi

« De l’avis de ceux qui l’ont rencontré de son vivant, il était l’incarnation même de l’éthique et de la Vérité. » C’est en ces termes que Bahram Elahi évoque la mémoire de son père, dans une note de l’introduction du recueil Paroles de Vérité (Albin Michel, 2014, p. 10). À l’occasion du 119e anniversaire de la naissance d’Ostad Elahi, trois anecdotes tirées de cet ouvrage permettront de se faire une idée concrète de ce que signifie, dans le quotidien d’une existence, l’humanité en acte.

Parole 379

L’éthique est le ferment de la spiritualité. En matière éthique, il faut être très savant. Il y a quelques années, un certain Monsieur K., membre très respecté de la tribu de Gûrân, était invité chez l’un de nos amis communs. Moi aussi j’étais invité avec quelques autres, en particulier un certain Monsieur Gh. Au cours de la soirée, on présenta un tanbur[1] à K., qui se mit à jouer, assez mal, quelques mélodies sans saveur. Monsieur Gh., qui m’avait déjà entendu jouer, a insisté pour que je joue aussi. Mais j’ai refusé, car je ne voulais

pas que K. se sente humilié. K. a cru que je n’osais pas jouer, par crainte de la comparaison, mais j’ai accepté qu’il le croie et je n’ai pas joué. Car s’il avait entendu mon tanbur, il en aurait certainement été mortifié.

Soyez humble avec les gens et comportez-vous avec eux de manière affectueuse et courtoise. Devenir savant, comme c’est facile. Devenir humain, comme c’est difficile !

Parole 224

Les bons et les mauvais actes sont consignés exactement comme dans un livre de comptes. Il y a une colonne pour les bonnes actions et une colonne pour les mauvaises. Plus une personne est avancée [spirituellement], plus on est exigeant avec elle : des actes qui ne sont pas une faute pour les autres lui sont comptés à elle comme des péchés.

Un jour, alors que j’étais très pressé, j’ai croisé sur mon chemin une jeune paysanne avec son enfant, qui m’a demandé l’adresse d’un médecin. J’ai vu qu’elle ne connaissait pas du tout la ville. Si je lui donnais simplement l’adresse et que je la laissais partir, elle risquait dans sa naïveté de tomber sur des gens malintentionnés. Je n’avais donc pas d’autre choix que de l’accompagner jusqu’au cabinet du médecin. Une fois là-bas, je leur ai bien recommandé de veiller à ce qu’elle rentre chez elle en toute sécurité.

Un peu plus tard, dans l’autobus qui me ramenait chez moi, une femme et son enfant se sont  assis  à  côté  de

moi. Tandis que la femme regardait dehors, l’enfant s’est approché de moi et s’est endormi dans mes bras. Au moment de descendre, la femme prit son enfant, me remercia et s’en alla.

Le soir, je suis arrivé tard à la maison et j’ai vu que la domestique n’avait pas préparé mon lit. J’ai dit à ma femme qu’il valait mieux qu’elle ne la réveille pas et qu’elle prépare elle-même mon lit. Je lui ai aussi demandé de mettre un verre d’eau à mon chevet.

Dans la nuit, j’ai vu… qu’on me présentait deux colonnes : une colonne pour les mauvaises actions et une colonne pour les bonnes actions. Dans la colonne des bonnes actions, il y avait les services rendus aux deux femmes et dans celle des mauvaises actions, il était écrit : « Sa femme était fatiguée et elle a préparé le lit à contrecœur. »

Parole 255

Toujours et à tout moment, il y a pour le viator des épreuves et il faut qu’il soit vigilant.

Au temps où les Alliés occupaient l’Iran, j’ai été muté de Kermânshâh à Kermân. Comme les routes étaient peu praticables et que l’approvisionnement était difficile, je suis allé seul à Kermân, sans ma famille. La ville était divisée en deux castes, les riches et les pauvres, et il était difficile de se procurer même les produits de première nécessité au bazar. Un jour que j’étais rentré déjeuner chez moi, le domestique avait préparé un riz tellement nauséabond qu’il en était immangeable et c’était la même chose pour le ragoût qui l’accompagnait. Quant au pain, il avait été fait avec quelque chose qui ressemblait à de la sciure de bois et il était tout aussi immangeable que le reste. Du coup, je n’ai pu manger que quelques dattes pour le déjeuner. Ce fut la même chose au dîner. J’ai à nouveau mangé quelques dattes pour calmer ma faim, mais j’étais loin d’être rassasié. Un peu plus tard, on a frappé à la porte. L’un des riches notables de la région m’avait fait envoyer un plateau garni de pain, de farine,  d’huile,  de

riz et de gâteaux. Me connaissant, le domestique avait refusé le plateau mais le porteur insistait lourdement et j’ai dû finalement intervenir moi-même pour lui expliquer que je ne pouvais pas accepter ce présent, que j’étais même prêt à écrire une lettre de remerciement, mais sans prendre le plateau. Il m’a répondu que son maître avait pour habitude d’envoyer un présent à tout haut fonctionnaire nouvellement nommé, que ça n’avait rien à voir avec ma position au palais de justice, etc. Finalement, après bien des tractations, j’ai réussi à le renvoyer chez lui [avec son plateau] et je me suis dit : « Ah Seigneur, tu me mets donc toujours à l’épreuve ? » Puis, j’ai demandé au domestique de m’apporter le repas nauséabond du midi et je l’ai mangé avec plaisir.

Le lendemain, l’un de mes collègues du palais de justice m’a dit qu’il avait une grande quantité de provisions chez lui et qu’il était prêt, pour que j’accepte, à m’en vendre une partie. C’est comme ça que tout a fini par s’arranger. Mais d’abord, Il vous met à l’épreuve.


[1]^ Instrument à cordes considéré comme un instrument sacré dans la tradition kurde. Ostad Elahi y fut initié dès son plus jeune âge et en devint le maître incontesté. Il ne fut pourtant connu que de quelques rares personnes de son vivant, à la fois parce que, par tradition, la musique sacrée ne se donnait pas en spectacle, et parce que pour lui la musique était une manière d’instaurer un dialogue intérieur avec le Bien-Aimé divin, ou encore d’initier âme à âme les chercheurs de Vérité. Il n’était pas question de « se faire un nom » dans la musique. Il existe aujourd’hui plusieurs CD qui témoignent de sa virtuosité et de la profondeur spirituelle de son jeu. (N.d.T.)


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16 commentaires

  1. Wilhelm le 11 Sep 2014 à 18:29 1

    La Parole 255 d’Ostad Elahi dit bien cette succession d’épreuves et de grâces dans le parcours du perfectionnement de l’âme

  2. sakineh le 12 Sep 2014 à 1:00 2

    en effet j’ai plusieurs fois pensé à la parole 379 pour faire attention à ne pas éveiller la jalousie quand quelque chose de bien m’arrivait, à ne rien dire et à m’intéresser de suite à l’autre en face pour ne pas avoir à raconter quoique ce soit de moi,surtout en sachant que l’autre vivait une situation pénible. Même si cette personne est bienveillante, ça n’est vraiment pas « cool » pour elle.

    Quant à la parole 224, on peut être amené, ça m’est déjà arrivé, à faire de bons actes dans le même jour, que l’on peut plus ou moins bien réussir, et pouf au dernier moment, en toute fin de journée, tout est comme gâché par un dernier coup de grâce du soi impérieux qu’on ne voit pas venir ou qui finit par nous duper très facilement, alors qu’on avait, je dirais, effectué « le plus dur » le reste de la journée

  3. Jean-Eûdes le 12 Sep 2014 à 1:26 3

    Merci pour ces paroles sélectionnées, elles reflètent parfaitement l’être d’exception qui était encore de ce monde il y a 40 ans.

  4. Ia le 12 Sep 2014 à 5:49 4

    Parole 255: Oui, j’ai eu des expériences récemment où tout s’est arrangé, mais après une épreuve…c’est cette conscience et cette résignation à l’épreuve qui semble déclencher le revirement de la situation. Mais en même temps, il me semble qu’il ne nous faut pas attendre la résolution de nos affaires, même si c’est dans notre nature d’aspirer à la résolution de nos affaires. Lire cette parole ce soir me remémore et confirme mon besoin de travailler sur ce point.

  5. MH le 12 Sep 2014 à 15:13 5

    Je suis encore tout émue de lire ces paroles, notamment la 379: quelle dose d’humilité, de tact, d’amour du prochain!
    Je pense que je ne saurait jamais faire autant preuve d’abnégation…
    Quelle grande leçon!

  6. Egosur Pat le 13 Sep 2014 à 12:19 6

    Plus on lit ces Paroles de Vérités plus on découvre des Vérités

  7. ATIG le 14 Sep 2014 à 0:20 7

    Merci pour le rappel de ces paroles merveilleuses. Quand je me représente la situation et mon éventuelle réaction, je m’aperçois que c’est très difficile de réagir avec la justesse avec laquelle Ostad Elahi s’est comporté. Je garde cependant la foi dans la clémence divine dont Ostad Elahi était le symbole même.

  8. A. le 15 Sep 2014 à 7:20 8

    En lisant ces passages tirés de Paroles de Vérité on trouve des réponses à des expériences que l’on vit dans la vie quotidienne. On vit des scénarios, on commet des erreurs, ensuite parfois on tombe « par hasard » sur des passages et on corrige son comportement.

    Pendant très longtemps (une douzaine d’années) j’ai été confrontée à la tentation suivante : puisque je voyage souvent pour des raisons professionnelle et que l’on m’autorise à voyager en 1ère classe (en train) et puisque les notes de frais sont remboursées par un système sur internet, où ceux qui vérifient les facturettes se trouvent aux USA et travaillent avec des version électroniques des justificatifs, pourquoi ne pas prendre des photos d’écrans de billets en première classe tout en voyageant en seconde ? Cela m’aurait permis de compléter mon salaire par une somme mensuelle pas vraiment négligeable sans que cela soit au détriment de la société. Bien que je gagne déjà assez bien ma vie et que je sentisse que c’était une mauvaise décision, une voix en mon for intérieur argumentait inlassablement : « vas-y donc, tu n’es pas en train de voler. C’est de ton droit de profiter de cet argent si tu voyages moins confortablement. » Au début j’ai hésité, mais face à cet argument qui revenait sans cesse et sans trouver un contre argument logique, sans comprendre pourquoi cette décision était mauvaise, j’ai fini par céder. Au début j’ai fait cela ponctuellement, puis j’y ai pris goût jusqu’au jour où … le système de contrôle a changé et ils m’ont demandé les originaux, en papier. Puisque c’était rétroactif, du moins partiellement, j’ai été pris par une vive angoisse pendant plusieurs semaines, l’angoisse de la honte que mes collègues découvrent que j’avais menti.

    Pour finir, je m’en suis sorti de justesse, mais j’ai dû mentir et cela m’a marqué. C’est alors que je suis tombé sur la parole n° 51: « l’homme doit vivre de façon à ne jamais rien à avoir cacher à personne » et que j’ai compris mon erreur. Je me suis promis de ne jamais répéter cela.

  9. Igloo le 15 Sep 2014 à 8:17 9

    Ce qui me frappe dans ces paroles, surtout la première et la troisième, c’est qu’il a toutes sortes de raisons et de raisonnements qui pourraient le pousser à céder. La grande difficulté, c’est justement de maintenir sa résolution malgré ces raisonnements. Par exemple, dans l’anecdote avec K.: Gh insiste pour qu’il joue, la tentation est grande de céder en se disant, par exemple, que Gh risque d’être vexé s’il ne répond pas à sa demande ou de se dire qu’il cède, mais c’est pour faire plaisir à Gh et pas pour autre chose. Ou alors, dans l’histoire du plateau de nourriture, il pourrait penser, de la même manière, que celui qui envoie le plateau pourrait être vexé, qu’accepter est une question de politesse sociale, le porteur du plateau donne aussi beaucoup d’arguments (c’est une habitude de son maître, tout le monde le fait, etc.).
    Bref un point que je trouve particulièrement intéressant dans ces anecdotes, c’est que résister à une épreuve, c’est souvent bien plus que simplement faire un seul acte de renoncement. On peut réussir un premier renoncement, mais ensuite, il faut résister à toutes les pressions intérieures ou extérieures qui essaient de nous faire lâcher et revenir sur notre décision. C’est une leçon pour moi car j’ai l’impression que jusqu’ici quand j’arrive à passer la « première haie » d’une épreuve et éventuellement la deuxième, il est rare que j’aie assez de force pour tenir sur toute la longueur de la course.

  10. Charlotte le 15 Sep 2014 à 9:00 10

    Je peux lire ces anecdotes milles fois et il y a toujours et toujours des leçons à apprendre.
    Ostad Elahi nous montre que la spiritualité est conjuguée dans notre vie matérielle et n’est pas une chose à part. En lisant ces anecdotes j’ai l’impression que c’est facile mais lorsque je suis confrontée quotidiennement à de telles situations, à cause du manque d’attention je passe à côté ou d’abord je fais mes calcules et je cherche mes intérêts avant de me décider.
    Merci pour ces anecdotes à lire et à relire.
    C’est ça la pratique in-vivo et que je suis malheureusement très loin.

  11. Coimba le 15 Sep 2014 à 13:10 11

    En relisant ces paroles je me rends de plus en plus compte combien le cheminent vers la perfection est difficile et pesant pour l’égo ! Mais le plus remarquable c’est la subtilité et la finesse de jugement que cela requiert. Si l’on prend par exemple la parole 255, moi, j’aurais considéré l’offre de ce notable comme une grâce de Dieu, venant à mon secours alors que l’épreuve résidait dans ce premier acte (ne pas accepter ce présent ). Ce qui semblait être la résolution du problème était loin de l’être. Alors quelle attitude avoir dorénavant?
    Lorsqu’une résolution se présente dois je être plus circonspecte avant de l’accepter comme une grâce de Dieu?

  12. alen le 17 Sep 2014 à 11:51 12

    Ces paroles sont très puissantes et cela me fait penser à la confiance en Dieu et aux droits d’autrui lorsque nous sommes dans l’éthique au quotidien. En toutes circonstances je dois me rappeler à la fois Sa présence bienveillante conjuguée à la nécessité d’un altruisme systématique (de penser aux autres : agir avec les autres comme j’aimerai qu’ils agissent avec moi) dans ma vie au quotidien. Et si mon intention est bonne aucune décision que je prendrai ne pourra m’être préjudiciable.

  13. KLR le 23 Sep 2014 à 9:39 13

    Quand je lis ces trois anecdotes, je suis émerveillée par la grandeur et l’éthique du comportement d’Ostad Elahi. Bien sûr, sur le papier et tel qu’il le raconte son comportement parait être simple et naturel, mais quelle maitrise !
    j’ai été bouleversée par cette dernière phrase « Ah Seigneur, tu me mets donc toujours à l’épreuve ? ». quel modèle pour moi qui suis faible devant de petites épreuves…

  14. Peerl le 24 Sep 2014 à 13:10 14

    Comme le souligne Coimba, quelle subtilité et finesse dans le jugement et l’analyse de la situation qui amènent finalement à prendre la bonne décision !
    Il s’agit de situations qui peuvent se présenter à nous de manière quotidienne et la décision d’agir ou de ne pas agir doit souvent être prise rapidement. L’analyse fine rétrospective est un outil indispensable pour affiner progressivement notre analyse quand nous somme confrontés à de telles situations mais quand je me retrouve dans le vif de telles situations, in vivo, j’essaie de purifier mon intention et de m’appuyer sur la parole 140.
    Le fait de « prendre le parti de la prudence » quand on hésite entre deux solutions constitue pour moi un réel filet de secours qui concourt à une sérénité d’esprit face à des décisions compliquées.

  15. juliette le 02 Oct 2014 à 0:30 15

    Dans les paroles d’Ostda Elahi citées, ce que je retiens surtout c’est son humanité, sa bonté, sa générosité et ses égards vis à vis des autre, allant jusqu’au sacrifice de soi et de son ego pour ne pas peiné quelqu’un. Je comprends maintenant le sens de ce qu’est un véritable être humain digne de ce nom, et il me semble soudain que c’est une des vertus fondamentales, sinon la vertu essentielle que l’on doit acquérir coûte que coûte.

  16. clara le 02 Oct 2014 à 11:45 16

    Pour en revenir aux commentaires de Coimba et Igloo concernant la parole 255

    Ce qu’il est intéressant d’analyser, c’est pourquoi le plateau a été refusé par Ostad ; pour quelles raisons ce plateau ne pouvait pas être une solution au problème alimentaire du moment et en quoi Dieu a mis Ostad à l’épreuve.

    En fait, à mon avis, offrir un tel plateau à quelqu’ un n’est jamais désintéressé parce que l ‘on devient redevable ; étant donné le contexte social, la position d’Ostad et la situation de la personne qui fait le cadeau, il est clair que le notable tôt ou tard aurait demandé un « service » en échange du cadeau sans quoi ce dernier aurait proposé des denrées pour dépanner mais en les faisant payer.

    D’autre part, offrir des aliments à tout haut fonctionnaire nouvellement nommé, ne peut pas être un acte gratuit ; il ne peut qu’ y avoir un gros intérêt derrière tout cela qui tôt ou tard mettrait à mal l’éthique de celui qui accepte ; il y a tellement de gens nécessiteux, pourquoi préférer les hauts fonctionnaires aux nécessiteux?

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