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L’homme est un être bidimensionnel

Par , le 7 Sep. 2008, dans la catégorie Articles - Imprimer ce document Imprimer - English version

[Cet article fait partie d’une série de 7 articles sur La pensée d’Ostad Elahi]

Si ce mouvement du perfectionnement a souvent été décrit dans les traditions spirituelles du passé comme un changement de plan, un arrachement ou une séparation (opposition entre l’âme et le corps, l’esprit et la matière, l’éternité et le devenir, l’autre monde et ce monde, etc.), ou encore un travail de purification, c’est que l’être humain est par essence bidimensionnel. Ostad Elahi insiste sur ce point : l’homme est double, il est d’une part ce corps animal doté d’un psychisme et d’un intellect qui lui permet d’évoluer dans un milieu naturel réglé par des déterminismes physiques et sociaux, et d’autre part (mais en même temps) cet esprit auquel il s’identifie spontanément parce qu’il est au principe de la conscience morale, de la volonté et du libre-arbitre, et dont il sent bien qu’il tire son origine d’une source qui transcende tout l’ordre matériel. Cette source (Ostad Elahi écrit souvent « la Source » ou « le Divin »), c’est la destination véritable de l’être humain, l’horizon et la motivation de toute son action : l’homme doit retourner à son origine, à sa source. Mais il ne peut le faire qu’en acquérant, pour son compte, une qualité homogène à cette source, dont il porte la trace au plus intime de lui-même.

Ainsi l’homme est un être bidimensionnel, dont la vocation est de retourner à son origine par un mouvement d’approfondissement et de perfectionnement de son être ou de son moi véritable. Se perfectionner, c’est d’abord retrouver le centre de gravité réel du soi et replacer du même coup son existence dans l’axe défini par son horizon et sa source. C’est pourquoi il est naturel de se représenter le perfectionnement comme une manière de transcender sa propre nature, ou du moins la part animale ou terrestre de cette nature. Pour la même raison, ce monde terrestre est voué à apparaître comme un lieu de passage transitoire et éphémère. Comme disait Aristote, devenir vraiment humain, c’est tâcher de « vivre en immortel ». Cette maxime prend un sens encore plus clair si l’on reconnaît, en chaque être humain, une part immortelle, littéralement indestructible, qui est le fondement de son identité et du sentiment de soi : sa part « céleste » (ou « âme céleste »).

En pratique, le caractère bidimensionnel de l’être humain se traduit de manière dynamique par une tension incessante entre la part terrestre, régie par le principe de plaisir, et la part céleste, siège de la raison et d’une volonté capable de transcender les pulsions et les désirs d’origine animale en direction d’un état plus parfait, mais aussi plus actif, du soi, autrement dit en direction d’une plus grande liberté et d’une plus grande maîtrise, qui vont de pair avec le développement de la connaissance et de la raison.

Si l’attirance vers la transcendance est naturellement présente en chaque individu, l’accomplissement de sa nature nécessite un travail actif et volontaire. C’est que structurellement, la tendance est au déséquilibre : en effet, si l’individu reste inactif, c’est la part terrestre qui prend le dessus et qui occupe son psychisme au point de dominer toutes ses pensées et tout son comportement et de le livrer passivement aux puissances de sa part la plus grossière, la moins humaine. En ce sens, l’enjeu le plus général de l’éthique est bien de parvenir à contrôler et à maîtriser cette part impulsive et impérieuse du soi (« soi impérieux ») qui, laissée à elle-même, finit par imprégner notre personnalité, au point de la soumettre entièrement.

Mais l’originalité de la pensée d’Ostad Elahi sur ce point tient à la manière dont il se représente les conséquences pratiques de la nature bidimensionnelle – à la fois terrestre et céleste – de l’être humain, en donnant du même coup une signification très précise à la fonction de « transit » assurée par la vie terrestre. L’idée de « maîtrise » en sort radicalement transformée. Il ne s’agit pas en effet de se défaire du corps, comme dans la voie ascétique empruntée par certains mystiques du passé, ni même d’annihiler les passions ou d’en neutraliser le principe actif pour atteindre à toute force la paix de l’âme, mais de faire de cette part terrestre du soi le meilleur usage possible pour développer en soi tous les caractères de l’humanité véritable. Ainsi la part terrestre ne doit pas être dominée et réduite, ni même seulement contrebalancée et maîtrisée : elle doit entrer dans un rapport de collaboration productive avec la part céleste. C’est tout l’enjeu de cette vie terrestre, conçue comme matrice ou milieu de maturation du soi.

Autrement dit, les deux dimensions qui font de l’homme un être biface ne sont pas simplement juxtaposées, mais étroitement nouées l’une à l’autre, de sorte que le corps et son milieu, tout comme l’« âme terrestre » qui définit notre psychisme et ses tendances fondamentales, n’apparaissent plus comme des obstacles mais plutôt comme des conditions indispensables de la perfection. La dimension matérielle et sociale de l’existence humaine prend ainsi toute son importance : elle est absolument nécessaire au développement humain. L’existence terrestre n’est pas seulement un lieu de transit, elle est un véritable terrain d’exercice, une sorte de laboratoire.

Poussons les portes de ce laboratoire, et voyons à présent comment les choses fonctionnent concrètement.

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9 commentaires

  1. Léa le 14 Sep 2008 à 12:07 1

    « En pratique, le caractère bidimensionnel de l’être humain se traduit de manière dynamique par une tension incessante entre la part terrestre, régie par le principe de plaisir, et la part céleste, siège de la raison et d’une volonté capable de transcender les pulsions et les désirs d’origine animale en direction d’un état plus parfait, mais aussi plus actif, du soi, autrement dit en direction d’une plus grande liberté et d’une plus grande maîtrise, qui vont de pair avec le développement de la connaissance et de la raison. »

    Par rapport à cette « plus grande liberté ». Je trouve qu’il est intéressant d’insister sur le fait que la véritable liberté n’est justement pas de laisser libre cours à ses envies, de repousser les limites dans la recherche du plaisir, de mettre de côté les règles afin de se libérer de toute contrainte, etc. Bien au contraire, si j’ai bien compris : dès lors que l’on est passif – donc par exemple, si on laisse libre cours à nos envies – c’est cette « part impulsive et impérieuse » de nous-même qui prend le contrôle et soumet notre moi véritable. A l’inverse, si on maîtrise notre « soi impérieux », grâce à notre raison et notre libre arbitre, on contrôle nos pulsions et nos émotions. Dès lors, on est libéré de leur emprise et on est donc libre d’agir comme il nous semble bon (en l’occurrence, selon la pensée d’Ostad Elahi, il s’agirait d’agir conformément aux principes éthiques et divins justes).

    Ainsi, par exemple, à chaque fois qu’on se retient d’exprimer haut et fort une colère plus ou moins justifiée, alors qu’on bouillonne de l’intérieur, ça n’est pas une limite de plus que l’on impose à notre liberté d’expression, mais un pas de plus vers une liberté véritable par rapport à cet aspect de notre personnalité. Une liberté qui consisterait à être capable d’utiliser sa colère lorsqu’elle est nécessaire pour se défendre, et à ne pas se laisser atteindre par celle-ci lorsqu’elle rendrait toute discussion raisonnable impossible.

  2. Steven le 26 Sep 2008 à 0:41 2

    @Léa :

    Votre concept de liberté me semble couler de source lorsque je le lis et en même temps assez révolutionnaire par rapport à la pensée ambiante.
    Souvent, lorsque j’entends autour de moi tisser les louanges de la spontanéïté comme synonime de liberté d’esprit, de fraicheur, j’ai une réaction critique mais jusqu’ici je n’avais pas réfléchi au pourquoi de ma réaction.
    Etre spontané, si je me réfère à ce que vous dites dans votre commentaire, consisterait bien souvent à laisser libre cours à nos désirs, donc à ce que l’auteur appelle notre « part terrestre ».
    Donc, au lieu d’être disons une qualité, la spontanéïté serait plutôt un défaut ou, en tout cas, un état peu mature de notre être.
    Je sens que cette vision peut paraître, comment dire, un peu « ringarde », un peu grise…mais en même temps elle me paraît davantage « coller à la réalité » de notre être bidimensionnel.
    Auriez-vous des arguments ou une façon d’exprimer cela de manière plus positive ?

    Aussi, je me dis qu’à force d’essayer de maîtriser nos élans, notre spontanéïté, il est probable que nous développions des réflexes pour que, « spontanément », un jour, notre « part céleste » intervienne dans chaque situation pour nous permettre d’adopter le comportement adéquat, éthique. Et si cela devient automatique alors là ce serait une spontanéïté différente et, à mon sens, d’un autre niveau.
    Qu’en pensez-vous ?

  3. Luce le 28 Sep 2008 à 10:12 3

    Léa et Steven:
    Je trouve que cette vision de la spontanéité maîtrisée n’est pas du tout ringarde, mais bien au contraire louable. Bon nombre de romans du XIXè siècle en littérature anglaise, en font l’éloge implicitement.
    Mais, pour revenir à l’exemple qui est cité sur la colère, il est nécessaire parfois d’user de stratégie d’évitement car la colère est une énergie négative, elle explose littéralement en nous et rejaillit sur notre entourage. Elle génère parfois des conséquences désastreuses que l’on a tous pu plus ou moins testées, un jour ou l’autre.
    Par sa nature violente et impulsive, elle prend donc le contrôle de notre raison et nous n’avons, à cet instant là, plus de libre arbitre pour l’empêcher d’agir et de la stopper. Elle est, tel un volcan, en furie….
    C’est d’ailleurs, il me semble, ce que Goleman explique et développe dans une partie de son livre sur « L’intelligence émotionnelle » présenté sur le site.
    Et si j’ai bien compris les propos de l’auteur, il explique que face à la colère, avant de pouvoir agir sur elle, il est nécessaire de comprendre quand et pourquoi on se met en colère. Alors on peut mettre en place des stratégies qui permettent d’anticiper sur nos propres émotions. Par exemple on pourra, sentant venir la colère monter, s’éloigner de la situation qui la génère, se calmer, puis se raisonner, puis reprendre les choses d’une autre façon, etc…

    Pour revenir à la notion de spontanéité maîtrisée, qu’en est-il des émotions de la part céleste qui s’expriment en nous ? (je pense par exemple, à une émotion si intense que l’on est incapable, voire paralysé, d’exprimer ses pensées, ses interrogations)
    Peuvent-elles, elles aussi, nous empêcher de progresser vers un comportement éthique ou vers plus de raison ?

  4. Karl le 28 Sep 2008 à 22:16 4

    @ Luce
    Vous avez posé la question des émotions de la part céleste qui, éventuellement, pourraient nous empêcher de « progresser vers un comportement éthique ou vers plus de raison ». Avez vous des exemples « d’émotions » de la part céleste ? Comment être sûr et certain qu’elles viennent bien de la part céleste ? Par exemple, je suis soudainement déprimé, las, plus rien ne me fait envie : je me dis que c’est peut être l’expression d’une émotion de ma part céleste qui dans ce monde de plus en plus matérialiste ne sent pas sa soif de transcendance étanchée …

  5. Luce le 01 Oct 2008 à 10:09 5

    Karl:
    Justement tout le problème est bien là. Je ne pense pas pouvoir répondre directement à votre question: « donner des exemples d’émotion de la part céleste ».
    Par contre, j’ai bien du mal à reconnaître certaines émotions et peut-être que je me dupe moi-même, en mettant cela sur le compte d’un sentiment « bon » alors qu’en fait il n’en est rien.

  6. Léa le 01 Oct 2008 à 19:40 6

    @ Steven et Luce :

    Je trouve que cette idée de spontanéité maîtrisée est justement un très bon moyen d’exprimer de manière positive l’idée que l’on est véritablement libre que lorsqu’on maîtrise nos pensées et nos actes et qu’on ne se laisse pas devenir « esclave » de nos émotions.
    En effet, cette maîtrise de soi n’implique pas que l’on devienne quelqu’un d’insipide, trop réservé, sans aucune répartie ou sens de l’humour, etc. Simplement, cela peut nous permettre par exemple d’éviter de dire des choses dont on sait qu’elles risquent de blesser…Cela me fait penser aux gens qui, spontanément, trouvent les bons mots pour alléger l’atmosphère, calmer une situation tendue ou la colère de quelqu’un (pour continuer sur cet exemple), alors qu’ils auraient autant de raisons de ce mettre en colère.

    Et d’un autre côté, maîtriser ses émotions ne signifie pas non plus qu’il ne faille jamais se faire plaisir.

    Je suis en tous les cas persuadées que pour réussir à acquérir une telle maîtrise, il faut prendre le temps d’analyser nos émotions et apprendre de nos expériences. Je suis donc tout à fait d’accord avec Luce sur l’exemple de la colère. Il faut comprendre comment on fonctionne pour mettre au point un plan d’action, et le livre de Goleman est certainement très utile pour aider à cette analyse personnelle.

  7. danielle le 02 Oct 2008 à 9:57 7

    Steven
    Je vois deux aspects dans la spontanéité. Elle est, a priori, considérée comme une qualité positive conforme à un comportement naturel, franc, direct. Mais j’ai remarqué qu’elle devient un défaut lorsque l’on ne prend pas la mesure du contexte. La spontanéité peut alors nous entrainer dans des comportements que l’on regrette par la suite.
    Par exemple, si je me trouve dans une situation ou les comportements sont déplaisants et dominés par la part « terrestre » : « médisance, ironie, malveillance, mesquinerie …», la spontanéité incite à entrer dans le jeu, il est plus simple et plus confortable d’employer les mêmes armes et c’est aussi une façon de se faire accepter.
    Cette influence sollicite directement ma part « terrestre ». C’est alors qu’il faut redoubler de vigilance, faire appel à la raison pour « surveiller » les paroles et les actes qui viennent spontanément à l’esprit, y résister et maintenir une distance avec le contexte ambiant.

  8. Bolo le 08 Oct 2008 à 0:37 8

    @Karl et Luce:
    à propos des émotions de la part céleste qui peuvent nuire à la progression, je pensais par exemple à ces irrésistibles envies soudaines de vouloir aider les autres, en donnant de l’argent inconsidérément aux nécessiteux, sans s’assurer d’en avoir les moyens, de développer une sensibilité au malheur d’autrui qui peut nous détruire moralement, de se mettre des épreuves insurmontables pour essayer de ressembler aux saints et à certains modèles de vertu que l’on admire, etc …
    en fait , partout où la raison est malmenée, par une attirance excessive vers l’idée de s’élever à tout prix. Une avidité spirituelle en quelque sorte

  9. Alter Ego le 28 Juin 2011 à 16:25 9

    J’ai très bien compris dans quel sens est employé le mot « bidimensionnel ». J’ai « fait connaissance avec ce mot, lors de mon année de Bac Philo, grâce à une parabole d’ un logicien dont j’ai oublié le nom, mais qui employait l’expression »êtres bidimensionnels », pour des créatures indéfiniement plates, évoluant dans un univers indéfiniement plan. Pour exprimer celà d’une autre manière, on peut se référer aux univers « fractals »-non ce n’est pas un barbarisme- de Benoit Mandelbrot. Toutes ces explications pour vous expliquer que dans mon la gage, l’être humain, comme l’ensemble de la Création evoluent dans un univers multi dimensionnel. Tout ceci pour illustrer les difficultés liées à l’incompréhension du seul fait des réalités linguistiques, et des analogies qu’elles engendrent.

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