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La Rochefoucauld, déconstructeur du soi impérieux

Par , le 5 Avr. 2009, dans la catégorie Lectures - Imprimer ce document Imprimer
La Rochefoucauld, Maximes et réflexions diverses

Pour qui voudrait se renseigner – avec plus de rapidité et de finesse que n’en permet souvent l’analyse de soi-même et des autres au travers de l’expérience quotidienne – sur les formes subtiles que l’amour propre et l’orgueil peuvent prendre en nous et les méandres par lesquelles ils nous entrainent vers les marécages de l’auto-duperie, on recommandera vivement une lecture ou relecture des Maximes de La Rochefoucauld.

On ne peut s’empêcher en méditant sur ce florilège de pensées détonantes et subtiles d’y voir une parfaite illustration de ce « soi impérieux » dont il est largement fait mention dans ce site et contre lequel la lutte constitue l’un des axes fondamentaux de la pratique spirituelle qui s’y trouve proposée.

Pour celui qui cherche à se connaître, qui s’efforce d’accroitre sa lucidité sur lui-même et les autres en vue de parfaire son éthique, ces maximes constituent un support de réflexion et d’analyse particulièrement pertinent, car fruit de l’observation fine et sans concession d’une nature humaine, qui, quelle que soit les époques, reste identique à elle-même.

Maxime 10 : il y a dans le cœur humain une génération perpétuelle de passions, en sorte que la ruine de l’une est presque toujours l’établissement d’une autre.

Maxime 33 : l’orgueil se dédommage toujours et ne perds rien lors même qu’il renonce à la vanité.

Dans ces deux seules maximes, quelle plus vive incitation à toujours chercher en soi les masques de la duplicité, à ne jamais se contenter de ce que l’on découvre de soi, de ses victoires sur soi, et à se défier des transformations sournoises, imperceptibles, que le temps qui passe produit inexorablement en nous, assoupissant ou défigurant même nos plus vives aspirations et nos plus enthousiastes élans vers le Bien et le Vrai !

Le dessein de La Rochefoucauld a été de « prouver que la vertu des anciens philosophes païens, dont ils ont fait tant de bruit, a été établie sur de faux fondements, et que l’homme, tout persuadé qu’il est de son mérite, n’a en soi que des apparences trompeuses de vertu dont il éblouit les autres et dont souvent il se trompe lui-même lorsque la foi ne s’en mêle point […] ».

Des commentateurs ont pu reprocher à La Rochefoucauld d’avoir par ses maximes voulu détruire l’idée même de vertu. L’on conçoit combien une telle publication mise entre les mains de lecteurs, même chrétiens, spirituellement peu éduqués, a pu jeter de trouble, désorienter voire dé-moraliser, au sens propre du terme : à quoi bon chercher le Bien puisque « trop d’intérêts divers, notre paresse profonde, le souci de préserver l’image favorable que nous avons ou que nous donnons de nous-mêmes, inclinent notre amour propre à tout mettre en œuvre pour entretenir et protéger l’illusion où nous sommes d’être bons et vertueux. » !

Pourtant l’auteur donne une clé de compréhension plus élevée et plus juste de son œuvre : « lorsque la foi ne s’en mêle point… ». Que veut-il dire par là ? La foi garantit-elle la lucidité sur notre nature, sur les intentions sous-terraines qui animent nos actions ? À quel traitement de nos découvertes nous conduit-elle ? Nous permet-elle systématiquement de contrer notre amour propre et cet orgueil partout insinué en nous pour exhumer de nous notre nature divine, véritablement humble, véritablement altruiste ? À l’évidence, non, il suffit de regarder autour de soi.

Alors, La Rochefoucauld, Maître de la lucidité, aurait-il lui-même été le dupe d’une fausse croyance ? Peu importe ici ce qu’il fut et ce qu’il comprit et vécut de la foi, tout imprégné d’augustinisme qu’il était. L’important ici est de saisir que la purification du sentiment qui nous pousse à la vertu, pour être efficace, se doit d’être accompagnée d’un travail parallèle de purification de la sincérité de la relation à Dieu et de recherche de « Son contentement » basée sur la pratique de principes divins authentiques.

Précisons un peu le processus : plus notre orgueil et notre amour propre, si sournoisement insinués même dans nos élans de cœur les plus innocents, sont conscientisés sous l’effet de l’auto analyse éclairée par la lumière de la foi sincère, plus nos actes peuvent tendre, par un redressement d’intention, vers le désintéressement réel (« Son contentement ») et produire en nous, peu à peu, la substance des vertus.

Un tel travail d’orfèvre, sans une énergie d’origine divine, captée grâce à une relation à Lui ferme et sincère, est sur la durée irrémédiablement voué à l’échec : démotivation, ramifications de l’auto duperie, effets secondaires et pervers liés à des démarches inadaptées de lutte contre « l’amour de soi » (cf. par exemple les excès des puritanismes et dolorismes en tous genres avec leurs lots de frustrations et de dérives), etc. Chacun est en mesure d’en tenter l’expérience.

Ultime remarque avant de poser par devers soi des maximes qu’il nous est gré de consulter à tout moment tel un compagnon sur le chemin : La Rochefoucauld concevait dans le seul christianisme la voie de l’acquisition des vertus. Ostad Elahi universalise sa proposition : quiconque cherche le vrai Dieu, s’éduque sur ce qu’Il peut être, sur ce que peut signifier « Son contentement » (indispensable afin de ne pas s’engager dans des pratiques inopérantes voire déviantes), quiconque développe en son for intérieur une relation sincère, vivante avec Lui, s’ouvre la voie des vertus authentiques et de sa pleine maturation spirituelle. La suivre n’est ensuite que persévérance et patience.

Florilèges de Maximes


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2 commentaires

  1. MH le 05 Avr 2009 à 13:45 1

    Merci de nous faire (re)découvrir ce philosophe… si subtil et « clairvoyant » – si je puis dire.
    C’est incroyable comme ces maximes sonnent justes et pourtant, comme elles sont dures! voire amères…Mais si vraies! (hélas… et c’est sans doute la raison pour lesquelles elles me font grincer des dents!)
    J’en ai relevé qqs unes qui me « parlent », et sur lesquelles, il me semble, en effet, je devrais « travailler »… et tâcher de ne pas me décourager!!!
    Pas facile!!!
    😉

  2. mila le 07 Avr 2009 à 11:09 2

    Un grand merci pour ce texte comme une sorte de petit guide. Il fourmille d’indices précieux qui me permettent de mieux comprendre comment identifier ce soi impérieux et ses manifestations souvent trop bien dissimulées.

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