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Fidélité à la tradition ou nécessaire évolution ?

Par , le 6 Nov. 2008, dans la catégorie Lectures - Imprimer ce document Imprimer
Self Islam, Abdennour Bida

Self islam : Histoire d’un islam personnel, Abdennour Bidar, éditions du Seuil, collection NON-CONFORME, 2006.

A l’heure où j’écris ces lignes, les médias font écho au dernier livre de Tariq Ramadan qui s’intitule Islam, la Réforme radicale. Le livre d’Abdennour Bidar, paru il y a deux ans, témoigne, sur le même sujet, d’une expérience personnelle pleine d’émotion sincère, d’analyse rigoureuse, de créativité et d’espoir. Mais dissipons d’emblée une confusion possible due au titre : il ne s’agit pas d’un islam self service mais de l’histoire d’un islam personnel, un islam du choix, celui de la liberté de conscience et de la responsabilité par opposition à l’islam imposé par l’héritage culturel.

L’auteur, agrégé de philosophie, est né il y a une quarantaine d’années en Auvergne. Sa mère, médecin, s’étant convertie à l’islam avant sa naissance, l’éduqua dans la foi musulmane et lui transmit la sensibilité et la profondeur de la spiritualité soufie. Le grand référent masculin de sa vie fut son grand-père, athée et communiste, mais curieux de spiritualité, à qui il vouait une admiration et une affection sans bornes. Respect, confiance et tendresse furent les piliers de leur complicité.

L’islam de son enfance fut doux et naturel « ni minaret, ni école coranique, ni communauté ».

Plus tard, quand il commença à fréquenter la mosquée de Clermont-Ferrand, il se sentit chez lui, bien que ne parlant pas l’arabe : « L’imam parlait, je ne comprenais rien, mais je recevais tout ». Il se sentait tout aussi à l’aise quand son grand-père l’initiait aux vendanges et à la fabrication du vin. Et ces deux pôles d’intérêt si opposés délimitent bien le terrain de jeu de l’enfant « musulman né français » qui devint très vite le champ d’expérience de l’adulte : comment faire dialoguer ces deux univers qui s’ignorent ? Comment vivre parmi eux sans être écartelé ? Comment trouver l’apaisement ? Et l’auteur de s’interroger : « Etait-ce là le sens de ma vie ? De faire enfin communiquer ces deux mers qui se touchent sans mêler leurs eaux, cet Orient et cet Occident qui se côtoient sans vouloir se reconnaître ? », et d’affirmer : « même si cela a pris du temps, aujourd’hui l’évidence est pour moi des deux côtés : Je suis français et musulman. C’est pour raconter comment cette évidence s’est formée, au fil des ans et des épreuves, que j’écris ce témoignage. »

Répondant aux encouragements de son professeur de philosophie, Abdennour Bidar s’inscrivit à 18 ans en classe préparatoire aux grandes écoles, in intégra l’ENS où il prit la mesure de l’inculture de la plupart des intellectuels français sur l’islam et n’eut comme confidente et soutien que celle qui devint sa femme et sa partenaire dans les épreuves. Ce fut le temps de la solitude et des désillusions parisiennes : « Durant ces premières années parisiennes, je ne décolérais pas. Je me sentais profondément nié, rejeté, insulté. Et je me retrouvais donc en réaction violente…contre ma propre identité occidentale ! Comme j’étais loin alors de pouvoir réconcilier les différentes parties de moi-même ! »

Désespoir et révolte l’amenèrent à fuir la voie royale des études supérieures pour entrer à 19 ans dans une voie soufie marocaine où il demeura 7 années pendant lesquelles les occasions de contact avec le monde extérieur se raréfièrent. La « bulle soufie » n’allait pas tarder à éclater, c’est ce qu’il décrit fort bien dans le chapitre « la descente aux enfers ». Son échec personnel lui permet de poser un constat d’actualité « Avec le recul, je crois qu’il nous manquait avant tout un véritable « modèle occidental » de vie soufie, c’est-à-dire une façon d’être soufie intégrée à notre société et à notre culture. »

L’auteur se réfugie alors pendant 6 ans dans la France profonde pour surmonter sa déception et comprendre enfin une chose précise   « Que j’étais né alors qu’étaient mortes toutes les sagesses anciennes, et que je ne donnerais de sens à ma vie qu’à partir de ce que je trouverais en moi-même, sans aucun secours extérieur, et de ce que je saurais reconstruire seul, par mes propres moyens. »

Les derniers chapitres sont consacrés à ses réflexions sur l’engagement dans le monde et en islam. Selon l’auteur, il faut cesser de vouloir puiser dans des héritages « moribonds » : tant celui des Lumières et de leur humanisme, que celui d’un « âge d’or » musulman andalou. Il faut donc réinventer, réinterpréter pour aujourd’hui, les grands principes modernes de « liberté, d’égalité, de fraternité ». Il laisse de côté l’islam « de rite », l’islam religieux, pour retrouver un islam « de la vision, de la contemplation d’Allah dans la diversité du monde », dans le cadre des valeurs de la France et de la modernité. Il valorise « tout ce qui rend le monde plus multiple, plus vivant et plus beau, tout geste créateur ». Pour lui, si l’islam a un « avenir occidental », ce ne sera que sous une forme renouvelée radicalement par les valeurs de liberté de conscience, de l’égalité des sexes, de la tolérance.

Il faut espérer que ce penseur ne sera pas lu et perçu comme un électron libre mais comme un éclaireur et qu’il sera écouté par ses coreligionnaires et par les religions monothéistes auxquels il présente l’islam « comme une école de connaissance de soi et de l’homme, une éducation du regard intérieur, une science du rapport à l’intime du cœur. »

Tous les « quêteurs spirituels » partageront, à ne pas en douter, son désir de relation intime à la Source et poursuivront sa réflexion dans leur propre vie.


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3 commentaires

  1. MIA le 09 Nov 2008 à 16:29 1

    Passionnant, j’achète le livre !

  2. Agathe le 14 Nov 2008 à 13:39 2

    Issue d’une double culture (catholico-musulmane) je reconnais à travers cet ouvrage un peu mon propre cheminement et surtout j’y vois le reflet de ma propre déception lorsqu’ici en France, j’évoque avec mes amis ou collègues mon « autre religion », l’Islam… Les préjugés sont tenaces et rares sont les esprits ouverts au dialogue… En ceci, cet ouvrage est remarquable car il invite à l’ouverture d’esprit alors, c’est décidé, plutôt que d’en parler moi même, je m’en vais l’offrir à certains, pourquoi pas à Noël !

  3. kbld le 04 Jan 2013 à 10:53 3

    Je trouve cet auteur très intéressant sur quelques aspects. D’un autre coté, j’ai toujours été mal à l’aise avec sa vision ultra-relativiste des choses (de par sa vision sociale de la religion).
    Son dernier livre est je pense un exemple flagrant de ce que sa pensée est intéressante mais présente des problèmes évidents. Il se nomme « Comment sortir de la religion ? ». Mes citations émanent du contre-rendu de Yassine.
    Son idée et son projet sont intéressants. Je cite l’éditeur : « L’islam en particulier – et le religieux en général – pourraient voir la sortie de la religion non pas comme leur ennemi juré, mais comme leur propre finalité cachée… ». Je le cite : « notre monde poursuit la religion avec d’autres moyens », Dieu seraient toujours présent dans notre vie mais sous d’autres formes, propres à la modernité.
    Cependant, je me porte en faux avec son idée prééminente selon laquelle l’homme moderne serait passée de créature à créateur, avec l’idée de « surpuissance de l’homme ». Certes, Dieu est en nous, mais nous ne sommes pas Dieu ! Par exemple, l’idée nietzschéenne d’une souhaitable « civilisation qui mette à la disposition de tout homme une puissance d’être et d’agir comparable à celle dont Dieu est le concept qui lui en assure la maîtrise » afin d’assister à « l’émergence du créateur humain » dénote une pensée seulement en partie axée sur la spiritualité et met l’homme à une place qui ne lui appartient pas. C’est flatteur pour nous mais faux à mon sens.

    Donc, un auteur avec des idées intéressantes, mais des développements à lire à mon avis avec précaution.

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