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Ascèse, ascétisme

Par , le 9 Mai. 2008, dans la catégorie Conceptothèque - Imprimer ce document Imprimer - English version
ascèse, ascétisme

Dans les sociétés où les hommes ont organisé leur vie spirituelle dans des formes ritualisées et organisées, il semble que l’ascétisme ait toujours joué un rôle sous des aspects et à des degrés divers selon les civilisations et les époques.

Étymologiquement le terme d’« ascèse » vient du grec askesis qui signifie tout simplement « exercice ». Il s’appliquait dans la Grèce antique aux exercices et à la discipline que s’imposaient les athlètes. Or c’est bien là le point commun entre les diverses formes de l’ascèse : il s’agit toujours de s’imposer une discipline et d’exercer ainsi sa volonté contre certaines tendances naturelles du corps. C’est ainsi qu’en Inde par exemple, la pratique de l’ascèse englobe à la fois des exercices corporels destinés à maîtriser le corps, des exercices sur le souffle destinés à maîtriser à la fois le corps et l’esprit ainsi que des formes de jeûnes alimentaires et des exercices de méditation.

Les religions (ou même certaines écoles philosophiques de l’Antiquité) prônent d’ailleurs chacune des formes d’ascèse très encadrées telles que le jeûne (alimentaire ou sexuel), les prières rituelles ou les veillées nocturnes. Ces exercices ont pour but de fortifier la volonté du croyant en l’amenant à maîtriser les pulsions les plus basiques du corps (faim, soif, sommeil etc.). Tant qu’elles ne dépassent pas le cadre exotérique qui balise très clairement ces pratiques, l’ascèse reste un exercice de la volonté et une discipline de vie qui garde la mesure et l’équilibre. Mais nombre de mystiques, voulant dépasser les simples prescriptions religieuses, ont érigé l’ascétisme en règle de vie et en ont fait le centre même de leur pratique spirituelle. Aujourd’hui, c’est surtout à ces formes extrêmes de l’ascétisme que l’on songe quand on emploie ce mot ou celui d’ascète qui désigne une « personne qui s’impose, par piété, des exercices de pénitence, des privations, des mortifications ». L’idée de piété est ici essentielle car elle montre que ces pratiques de mortification du corps poursuivent un but moral et spirituel et qu’elles se fondent sur l’idée qu’il faut lutter contre les exigences du corps afin de faire triompher l’esprit. Ainsi, dans l’approche mystique dans les mondes chrétiens et musulmans mais aussi dans le bouddhisme et l’hindouisme, toutes les formes de la mortification du corps (par la privation ou l’agression) qui ont pour but de l’affaiblir afin de donner la primauté à l’esprit sont valorisées de même que le retrait du monde qui est une manière de se couper des tentations inhérentes à la vie en société.

Ce retrait du monde pour vivre dans l’isolement, que ce soit dans le désert ou dans un monastère peut d’ailleurs être considéré comme une mortification psychique qui coupe l’individu de sa dimension sociale. Quoi qu’il en soit, pratiqué dans cet esprit, l’ascétisme est très différent d’un simple exercice de volonté puisqu’il a pour but (comme le mot même de « mortification » le suggère), l’élimination pure et simple de la dimension corporelle et des pulsions qui lui sont attachées ou du moins leur réduction au minimum nécessaire à la survie. Cette réduction du pôle terrestre du soi est supposée connecter l’esprit aux mondes spirituels et susciter des états modifiés de conscience tels que l’extase, les visions, etc. Ainsi, la pratique de l’ascétisme élimine les plaisirs du corps et les remplace par les plaisirs de l’esprit.

Or, pour Ostad Elahi, cet ascétisme qui va de pair avec la « spiritualité classique » ne permet pas de réaliser la perfection pour laquelle l’âme humaine descend sur Terre. D’abord parce que la perfection est équilibre et que les ascèses extrêmes sont un déséquilibre qui, fût-il au profit de l’âme céleste, ne peut qu’être néfaste au perfectionnement harmonieux de l’être humain conçu comme un tout. D’ailleurs, la recherche des plaisirs spirituels n’est guère différente de la recherche des plaisirs matériels dans la mesure où elle n’est qu’une soumission de la volonté au principe de plaisir. Ensuite, selon Ostad Elahi qui a pratiqué ces méthodes pendant toute son enfance et sa jeunesse, les mortifications exercées à l’encontre du corps ne mènent pas à un véritable contrôle du soi. En effet, en affaiblissant le corps, on ne permet pas à la volonté d’en contrôler les pulsions, mais on les endort. Qu’il reprenne un peu de force ou qu’il soit confronté à des tentations qui avaient été artificiellement tenues à distance et il reprendra le dessus. Selon lui, il faut au contraire à l’âme une monture forte mais éduquée qui obéisse aux injonctions de l’âme céleste au nom de l’éthique. De la même façon, la véritable éthique ne peut que s’exercer dans la société et dans la confrontation avec les tentations. De son point de vue, pôle terrestre et pôle céleste sont complémentaires, se nourrissent et se soutiennent l’un l’autre et doivent tous deux être contrôlés par la raison.

Enfin, le corps, comme toutes les autres créatures a des droits et en particulier celui d’être respecté, nourri et délassé dans la limite de ce qui est licite. Lui faire subir des ascèses excessives qui lui nuisent est non seulement inutile spirituellement mais constitue une atteinte aux « droits du corps » et donc une entrave au perfectionnement du soi. Ainsi pour Ostad Elahi, l’ascèse juste est une ascèse non mortifère, qui est, comme pour les philosophes antiques, un exercice de la volonté sur les pulsions, une attitude tempérante mais surtout une distance intérieure de soi à soi. Et cette ascèse là, certes moins spectaculaire en apparence que les « exploits » des mystiques, est aussi d’une plus haute exigence car elle tend à cet équilibre dynamique qui est le propre de la perfection.


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7 commentaires

  1. Bernard Grandadam le 23 Août 2009 à 22:10 1

    Je trouve très intéressant la comparaison entre l’ascèse et l’exercice physique pour un atlète. Cette analogie illustre que faire de l’exercice physique bien qu’il ne constitue pas en soi un objectif pour l’atlète mais lui est indispensable afin d’avoir les conditions physiques permettant d’atteindre son but.

    Cela est d’autant intérressant que nous sommes dans une société de consommation ou la notion même de l’effort se perd au profit d’un résultat immédiat. En particulier, on pourrait avoir la tentation d’être un champion en dominant toutes les tentations qui nous entourent sans même d’exercer notre volonté par des exercices simples au quotidien telles que le jeune, la prière, …

  2. Zitronade le 27 Août 2009 à 5:06 2

    Arriver à une attitude témpérante me semble être une véritable ascèse en soi. En effet, c’est plus facile de s’imposer des exercices ascétiques extrêmes,sans réfléchir, que de prendre le temps de se connaitre.

    En outre, l’analogie avec un athlète de haut niveau me semble pleinement justifié dans le cas, par exemple, d’une pratique quotidienne de l’exercice de la volonté sur une ou plusieurs pulsions. Nous allons nous préparer, analyser notre environnement, tirer des enseignements de nos « scores », prendre des temps de repos, faire des exercices secondaires, piquer des sprints ou des courses de fonds …

    Et tout comme un athlète, nous allons probablement améliorer nos temps de résistance dans tous les sens du terme.

  3. lex le 19 Août 2010 à 0:25 3

    Si j ai bien compris, les asceses traditionelles sont révolues alors: quitter la societé « pour vivre dans isolement ».
    Mais quand est-il des asceses ponctuelles realisées comme une cure pour fortifier la volonté? Typiquement se faire un programme de quelques jours et se priver juste pendant ses quelques jours. Est ce utile?

  4. loulou le 19 Août 2010 à 12:31 4

    ça doit dépendre de la nature de l’ascèse… voir si l’ascèse porte préjudice à la santé du corps et du mental. Car si j’ai bien compris ce que dit Ostad Elahi sur la question, ce qui compte, c’est le respect des droits, de TOUS les droits, ceux de notre âme, mais aussi ceux de notre corps et de notre mental !
    Cela dit, pour développer sa volonté, je suis d’accord avec toi, lex, rien de tel que de mini-ascèses. Tout ce qui va à l’encontre de nos désirs immédiats suppose un effort de volonté et relève en ce sens d’une forme d’ascèse élargie…

  5. mike le 20 Août 2010 à 0:57 5

    je suis d’accord avec zitronade, l’équilibre est ce qui a de plus dur c’est une maitrise intelligente de soi, cela prime même sur les bons actes quelques fois…
    d’accord avec Lex , c’est plus d’actualité… ce monde, la société est notre laboratoire, y vivre comme les autres en suivant les règles de la morales, civiques et religieuses mais avoir l’attention tournée vers son but en permanence…
    l’ascèse a changé : pour un étudiant, bien étudier et jusqu’au bout est une ascèse dans ce monde où l’on veut tout, tout de suite et sans effort
    Faire une ascèse mentale en étudiant les principes éthiques justes, etc. toutes nos luttes intérieures permettent de renforcer notre volonté et notre discernement et il faut savoir que « la clé qui ouvre l’accès à tous les niveau de la spiritualité c’est la volonté ».

  6. Joseph Locanda le 20 Août 2010 à 7:35 6

    L’exercice d’ascèse dans ce cas me paraît utile pour plusieurs raisons : le corps a besoin d’ascèses car dans nos sociétés repues, une détox est bénéfique pour notre corps qui se fatigue avec une alimentation trop riche ; d’un point de vue spirituel, une ascèse permet de tester sa volonté dans un acte de privation, voire de lutter contre une addiction. Par exemple, une ascèse de café pour quelqu’un qui en boit beaucoup chaque jour peut l’aider à prendre conscience des effets néfastes de trop prendre de café en créant une rupture dans ses habitudes. Il y a surement pleins d’autres raisons, mais l’ascèse peut être considérée comme un exercice qui obéit à des règles et qui doit avoir un objectif et une fin pour faire un bilan.

  7. nanou le 20 Août 2010 à 16:24 7

    question : la lutte contre le soi impérieux peut-elle être considérée comme une ascèse ?

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