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Une pratique spirituelle en 3 axes

Par , le 16 Avr. 2009, dans la catégorie Articles - Imprimer ce document Imprimer - English version
grimpeur en montagne

Le sens de la vie ? Se perfectionner, répond Ostad Elahi. Conduire son âme à sa maturité, c’est-à-dire à un état où, dans le respect de sa propre nature, l’homme parvient à maîtriser parfaitement ses pulsions. C’est la condition de la liberté intérieure. Se perfectionner, oui, mais comment ? Par l’action, insiste Ostad Elahi, en rappelant que dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres, « c’est en pratiquant que l’on peut progresser ». Car si la pensée et la parole peuvent éveiller en soi le désir de changer, et expliciter les voies qui conduisent au changement, il ne suffit malheureusement pas de parler d’une vertu pour la voir se développer.

Il est impératif que la parole cède la place à l’action, à la pratique. Mais pas à n’importe quelle pratique…

Cette pratique indispensable au perfectionnement de l’âme, Ostad Elahi la résume en trois axes :

– l’attention à la Source ;
– la lutte contre le soi impérieux ;
– l’aide à autrui.

1) L’attention à la Source – une attitude méditative

Dans la pensée d’Ostad Elahi, comme dans la plupart des philosophies qui traitent de la dimension du spirituel, l’existence de tout être émane d’une Intelligence transcendante et généreuse qui préside à la création du monde, à son maintien dans l’existence et à son évolution. Tout être se rapporte donc de manière ultime à une Source unique qui n’est autre que cette Intelligence transcendante. Bien entendu, on pourrait utiliser ici le terme de Dieu. Mais lorsqu’il s’agit d’établir un rapport intérieur et même un échange avec l’élément divin présent en chacun de nous, Ostad Elahi préfère généralement le terme de Source, qui évoque plus concrètement le lien entre le soi et la source originelle dont il émane et qui l’alimente. Ajoutons à cela, que le mot « Dieu » porte aujourd’hui des connotations telles qu’il paraît difficile de l’utiliser sans risquer de susciter des malentendus.

L’attention à la Source est une attitude intérieure méditative qui consiste à rechercher une forme de communication avec le divin. B. Elahi la qualifie ainsi de méditation naturelle. Le but de cette relation est de parvenir à une compréhension de soi et du monde qui soit en accord avec ce qui est juste. Je porte mon attention à la Source afin de saisir l’inspiration qui pourra orienter ma vie, mes pensées, mes paroles et mes actes. L’énergie subtile captée au cours de ce processus catalyse positivement mon raisonnement ; celui-ci me permet, avant d’agir, d’évaluer la valeur éthique de mon action. Ainsi, à la question : « la décision que je m’apprête à prendre, est-elle conforme à l’éthique ? », une intuition vient apporter une réponse, comme un écho dans ma conscience éclairée.

Cette attitude qui consiste à se référer au Divin dans les actes courants de la vie quotidienne, ne suffit pas à elle seule à construire une démarche morale. Elle fournit seulement l’énergie nécessaire à notre âme, à notre conscience, énergie qui guide notre raison dans la pratique de l’éthique, et aussi dans ce qui en constitue le corollaire, à savoir la lutte contre le soi impérieux.

2) La lutte contre le soi impérieux – une attitude réfléchie et rationnelle

Le soi impérieux désigne en l’homme toutes les pensées, intentions, désirs, comportements qui sont intentionnellement nuisibles à autrui et à soi-même. Il ne s’agit donc pas de s’en prendre aux désirs légitimes, nécessaires à notre équilibre physique et psychique, mais seulement de renoncer à ceux dont la satisfaction nuirait aux autres et à soi-même, corps et âme. Cette démarche éthique s’appuie sur l’usage juste de la raison et sur un travail d’éducation de la pensée qui consiste à l’éclairer par un regard constant sur soi-même, à travers la relation aux autres. Il s’agit donc de tout autre chose que de l’application d’une morale « close », de codes ou de normes toutes faites. La lutte contre le soi impérieux est une pratique rationnelle et ouverte de l’éthique : elle doit mobiliser toutes nos ressources de réflexion et d’invention.

« C’est dans les épreuves de la vie quotidienne que la lutte contre le soi impérieux trouve son sens ». En écrivant cela, B. Elahi indique que ce travail sur soi ne requiert pas qu’on lui consacre un temps spécial en dehors des moments d’implication sociale, professionnelle ou familiale. Bien au contraire, la lutte contre le soi impérieux a ceci d’exceptionnellement fécond qu’elle concerne toutes les dimensions de l’existence et qu’elle peut donc être pratiquée en tout temps et en tout lieu, pour peu que l’on pense à porter sur sa vie en général un regard spirituel.

Porter sur sa vie un regard spirituel, c’est être convaincu que les événements qui nous arrivent, qu’ils soient agréables ou non, sont porteurs d’un sens et peuvent être autant d’occasions d’approfondissement et de développement de la connaissance de soi. Ce point de vue nous conduit ainsi à être particulièrement sensible aux aspects du quotidien qui nous offrent une sorte de reflet de notre propre soi impérieux ou de nos points faibles.

Un exemple devrait permettre d’éclairer ce point.

Un couple se rend à un dîner. Il y rencontre Isabelle, une femme charmante qui se plaît à parler d’elle-même en termes avantageux. Sur le chemin du retour, le couple échange ses impressions. Elle : « Quelle soirée pénible,… ». Lui : « Ah bon ? Moi j’ai trouvé l’ambiance très sympa. On devrait penser à inviter Isabelle, un de ces jours… ».

Cette expérience banale, celle d’un événement suscitant chez des personnes proches des émotions opposées, montre à quel point la manière dont nous voyons le monde nous en apprend souvent autant sur nous-mêmes que sur les autres et le monde lui-même. Dans notre exemple, la différence des émotions exprimées par nos deux protagonistes résulte très certainement de ce que la rencontre avec Isabelle aura mis en jeu des points faibles différents.

Lutter contre le soi impérieux impliquerait donc pour chacun :

  • D’admettre que la source de ses émotions (agréables ou non) se trouve en soi. Par exemple, que le déplaisir ressenti en présence d’une personne n’a pas seulement l’autre pour origine, mais qu’il peut aussi provenir, par exemple, du sentiment de rivalité éprouvé à son égard. On ne peut certes pas nier qu’il y ait quelque chose de déplacé dans le comportement d’une personne qui se met systématiquement en avant. Mais le fait que cela m’irrite, moi, et que cette irritation aille parfois jusqu’à une forme d’hostilité, indique bien que l’origine réelle de cette irritation doit se trouver en moi. La meilleure preuve en est que, dans d’autres contextes et en présence d’autres personnes, il arrive souvent qu’un comportement semblable me laisse tout à fait indifférent, et parfois même qu’il se traduise par une forme d’indulgence envers celui ou celle qu’on voit s’efforcer ainsi de se faire maladroitement une place dans le monde.
  • Une fois admis que la source de l’émotion négative est en soi, s’efforcer de la contrôler, en commençant par ne pas la traduire en acte. Notons qu’il ne s’agit pas ici d’une maîtrise au sens d’un déni de la pulsion, mais plutôt d’un effort pour reconnaître cette pulsion, pour en analyser les manifestations et les effets et en canaliser l’énergie vers des objectifs nobles.

Dans le contexte du perfectionnement, la lutte est généralement considérée comme une affaire austère, ennuyeuse et triste : il ne s’agirait que de se brider, de se restreindre. Mais envisagée de manière active, à travers la dynamique propre de la connaissance de soi, elle apparaît en fait comme une cause juste et salutaire pour soi et pour les autres. Lorsqu’elle est portée par une motivation réelle pour le perfectionnement éthique, elle peut même s’avérer une véritable source de plaisir.

3) L’aide à autrui – une attitude humaniste

Pour Ostad Elahi, le monde est un laboratoire où l’on peut pratiquer les principes éthiques et divins et être confronté à des épreuves destinées à faire mûrir l’âme. L’âme en effet ne peut se perfectionner sans une confrontation avec le monde et sans interaction avec autrui. L’un des modes d’interaction les plus fructueux, de ce point de vue, consiste à venir en aide à autrui. Cette pratique permet en effet de sortir de soi-même, et donc de vaincre son égoïsme et son égocentrisme naturels. Un principe devrait idéalement régir notre comportement dans le monde : vouloir pour autrui ce que l’on veut pour soi et ne pas souhaiter pour autrui ce que l’on ne souhaite pas pour soi-même. À un degré supérieur, cela signifie se battre pour protéger autrui comme on se battrait pour soi-même. Une telle ligne de conduite suppose que l’on soit toujours prêt à agir dans l’intérêt d’autrui, quand bien même il en résulterait une perte pour soi-même.

Pour en retirer un réel bénéfice spirituel, notre intention devrait réellement être de servir autrui, et non pas de briller et d’être admiré. Ostad Elahi assortit la logique du don de conditions pratiques nécessaires au fonctionnement de son alchimie : notre intention devrait se rapprocher le plus possible de l’élan de pur humanisme ; notre don à l’un ne devrait pas engendrer de dommage à un tiers, ou de dommage irréparable à soi-même…

La raison ultime qui anime un tel idéal est l’idée que chaque être humain porte en lui une parcelle divine. Servir autrui, c’est servir cette part de lumière qui est en chacun. S’attirer les cœurs, c’est s’attirer la grâce divine.

Deux remarques pour conclure :

  1. Chacune de ces pratiques relie l’homme à l’un des trois pôles de son existence : Dieu, le soi et les autres. La première (attention à la Source) le relie au divin, à son créateur, qui lui infuse par ce biais l’énergie nécessaire pour réaliser les deux autres. La seconde (lutte contre le soi impérieux) le relie à lui-même, à son vrai soi, dans la mesure où la maîtrise du soi impérieux s’accompagne naturellement d’un progrès dans la connaissance de soi. La troisième enfin (aide à autrui) relie chacun aux autres, humains ou non, qu’il s’agit de considérer comme des êtres à part entière, également dignes de respect.
  2. La pratique de ces trois axes n’est pas seulement compatible avec une vie sociale et familiale normale ; elle ne peut réellement avoir lieu qu’au sein d’une vie sociale active. C’est dire combien l’idée de vivre sa spiritualité au cœur de la société est autre chose qu’une simple concession faite aux conditions de la vie moderne. Il faut y voir au contraire la formulation d’une exigence intrinsèque au perfectionnement lui-même. Une vie sociale et familiale pleinement vécue, impliquant une confrontation quotidienne aux autres et à notre propre soi impérieux.


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9 commentaires

  1. Dan le 20 Avr 2009 à 22:42 1

    Merci pour cet article intéressant, qui donne une bonne synthèse des points sur lesquels concentrer nos efforts du quotidien.

  2. Tong le 17 Mai 2009 à 15:14 2

    Simple, clair, net et précis.
    Merci.

  3. why le 07 Juin 2009 à 11:00 3

    Et alors ? on dirait que vous avez lu ce texte comme celui d’une posologie que l’on trouve à l’intérieur des boites de médicaments! N’avez vous aucune expérience pratique à échanger ?
    Pour ma part, j’en ai une: Il y a 3 ans, je me suis engagée dans la vie associative. On m’a confié la responsabilité de « la boulangerie ». En deux mots, ça consiste à ramasser, le soir, les invendus dans les boulangeries qui acceptent et à les redistribuer le lendemain matin. Au passage,un joli petit boulot de coordination . Tout se passait bien. Cette année, je ne sais pour quelle raisons, certains bénévoles se sont mis à intervenir de façon très désordonnée et irresponsable dans la gestion et la distribution. Un observateur est venu me voir et m’a dit : reprends l’activité en main, ça part en live!
    Et que m’a dit mon soi impérieux à ce moment là? « Eh bien, s’ils sont si malins, je rends mon tablier, qu’ils se débrouillent sans moi! » Et voilà comment on se prend la main dans le sac. Mon soi impérieux en trouvant un allié dans ma susceptibilité, cherchait à me démobiliser et il avait presque réussi. Car en rentrant chez moi, je me suis dit : « mais qu’est ce que tu cherches? ton propre contentement ou celui des autres? Sincèrement, pour quelles raisons fais-tu cela?.
    J’ai pris le temps de réfléchir et j’ai repris en main l’activité pour retrouver un maximum d’efficacité . Je ne supporte pas d’avoir faim et je fais ce qui est en mon pouvoir pour que les autres n’aient pas faim.
    A vous.

  4. george le 08 Juin 2009 à 19:45 4

    @why : « pour quelles raisons fais-tu cela ? » Se poser régulièrement cette question me semble un excellent moyen de lutter contre les déceptions et les revers que l’on ne manque pas de rencontrer quand on s’efforce de faire du positif ! Je vais essayer de m’en souvenir.
    Je crois bien qu’on a tous connu maintes fois ce genre de découragement lorsqu’on fait un truc sympas pour quelqu’un et que la personne ne nous en montre aucune reconnaissance. J’ai même lu quelque part dans un bouquin de Kant que ceux à qui on a fait du bien nous en veulent et finissent donc par se venger car ils se sentent redevables et que personne n’aime pas se sentir redevable.
    Cela dit, à la réflexion, je me dis aussi que souvent, les gens ne le font pas exprès, c’est plutôt une forme d’inconscience, de fermeture à l’autre, la même que celle dont on fait preuve envers ceux dont nous sommes redevables. Quand je suis fâché, je me dis ça parfois : « et toi, tu n’as jamais été ingrat ? ». en général, ça me calme, momentanément du moins.

  5. MPG le 15 Juin 2009 à 19:08 5

    Les épreuves nous en apprennent long sur nos faiblesses.
    Simone de Beauvoir dans « Une Morale pour l’Ambiguité » dédie toute une partie de son livre aux échecs. Pour elle, ils sont indispensables, voir nécessaires pour mieux se connaître, se comprendre, et apprendre.
    Même si, pour certains, on peut se dire qu’on s’en passerait bien, finalement si on ne se laisse pas envahir par eux, on en ressort plus fort, enrichi, plus savant.
    Mais voilà, comment les surpasser, les comprendre ?
    M’apparaît de suite des démarches intérieures indispensables : savoir se remettre en question, la sincérité vis-à vis-de soi-même, avoir la volonté de faire quelque chose pour vivre mieux.
    1) Dépasser nos échecs en comprenant mieux nos faiblesses. Cela nous aide à ne pas répéter les mêmes erreurs.
    ex: agir avec précipitation:
    Si nous ne nous donnons pas le temps de prendre de la distance avec une situation, nous risquons de mal l’appréhender. Pour constater cela il faut plusieurs fois avoir vécu, la vérité de cette constatation; vexer quelqu’un pour ne pas avoir pris le temps de choisir le bon moment, ou de lui dire d’une autre façon ferme mais avec douceur et bienveillance, avoir mangé un sandwich en quatrième vitesse qui bouchonne l’estomac etc…, la variété des situations liées à la précipitation est infinie et contextuelle et plus ou moins grave.
    Dans le premier cas est-ce la négligence qui nous a motivé, la maladresse, ou autre chose ? Ne pas prendre son temps avant de s’engager dans une histoire ou les enjeux sont importants peuvent avoir des conséquences pénibles. Pourquoi ne pas avoir pris cette distance, qu’est-ce qui ‘intérieurement est devenu impérieux ?
    2) En quoi gagnons-nous de reconnaître ce qui nous a fait déraper.
    On a repérer quelque chose qui met un frein à vivre mieux à faire moins d’erreurs, à moins souffrir et faire souffrir; on devient attentif à ne plus recommencer on renforce et agrandit notre perception des choses et des situations. Les épreuves qu’on affronte nous aident à regarder à l’intérieur de nous afin d’aiguiser notre volonté à mieux vivre en nous et parmi les autres.
    La recherche pour être plus heureux en sachant qu’on est plus heureux lorsqu’on propage nous-même plus de bonheur, en luttant contre notre égoité
    Le bonheur est-il notre moteur pour transcender nos faiblesses?

  6. MH le 17 Juin 2009 à 13:39 6

    Merci pour ces beaux échanges…

    J’ajouterais que c’est aussi ‘l’utilité’ de mon geste qui a pris de l’importance, depuis qqs temps. En effet, je lutte contre un tendance désastreuse pour le quotidien d’être bien trop perfectionniste !
    (et le pire : ‘fière de l’être’ !) 😉

    Alors, avant chaque geste de ‘correction’ je me pose la question ‘est-ce vraiment utile ?’ et ça devrait marcher…

    Je deviens aussi moins exigeante avec mes proches… ce qui leur rend la vie plus supportable !

  7. LD le 23 Oct 2009 à 21:21 7

    @MPG
    Autre utilité de l’échec : nous rappeler qu’on est faillible, imparfait, par conséquent inapte à juger autrui. Comment peut-on se permettre de juger alors que nous échouons si lamentablement et si souvent? Dans mon cas, l’échec me rend moins orgueilleuse, plus humble et tolérante. Ne dit-on pas l’erreur est humaine et le pardon divin?

  8. Roxanna le 22 Juil 2011 à 23:24 8

    Je remarque que se forme un cercle vertueux entre les trois axes : l’attention à la source conduit naturellement à lutter contre ce qui est contraire à l’éthique (si l’attention est pure et sincère), cela rend naturellement allergique aux pulsions négatives du soi impérieux ; on a ainsi plus spontanément soif de bien, et d’envie de rendre service à autrui car on sait que cela plaît à Dieu.

    Cela me rappelle également le fait que nous avons des devoirs envers 3 personnes différentes : Dieu (en portant son attention vers lui), nous-même (soigner notre âme grâce à lutte contre le soi impérieux) ainsi qu’autrui. Et ces 3 axes nous permettent d’accomplir les devoirs correspondants.

  9. radegonde le 11 Déc 2011 à 17:57 9

    article à relire régulièrement pour mettre les idées au clair!!!

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