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Les Figures de l’Aimé chez Malek Jân Ne’mati (1906-1993)

Poésies des Suds et des Orients

Sœur d’Ostad Elahi, Malek Jân Ne’mati a aussi été sa plus brillante élève et la plus passionnée. Voyant en lui un moyen de se connecter à la divinité, une figure de l’Aimé, elle a produit une œuvre poétique riche en images et en métaphores dont Leili Anvar analyse ici le sens. L’article présenté ici a été publié dans la revue Itinéraires et Contacts de cultures n°42 intitulé Poésie des suds et des Orients. Leili Anvar est maître de conférence à l’INALCO. Elle est notamment l’auteur de Malek Jân Ne’mati aux éditions Diane de Selliers.

L’œuvre de Malek Jân Ne’mati est fort mal connue car avant d’être poétesse, elle était une figure spirituelle considérée comme une sainte dans le milieu où elle a vécu et parfois bien au-delà. À ce titre, elle a pratiqué assidûment l’humilité et l’effacement de soi, au point de ne pas vraiment se soucier de laisser une œuvre. Elle n’a ainsi jamais rien publié de son vivant et aujourd’hui encore, son œuvre en langue originale est restée à l’état de manuscrit et n’a été publiée que très partiellement en traduction française en 2007[1]. Travailler sur son œuvre pose donc tous les problèmes que posent des sources exclusivement manuscrites et ce, d’autant plus qu’aucun de ces manuscrits n’est de sa main. En effet, devenue progressivement aveugle entre 14 et 20 ans, l’ensemble de son œuvre (qui comprend un vaste corpus d’enseignements spirituels oraux et quelques feuillets de poésie) est constituée de prises de note de son entourage. Nous n’aborderons cependant pas ici ces questions et tiendrons pour acquis l’authenticité de l’œuvre en nous référant à un travail de recoupement qui a servi de base aux traductions en français citées plus haut. Ce que nous savons de sa biographie est aussi essentiellement le fruit d’un travail de recherche sur le terrain et de rassemblement de nombre de témoignages oraux. Il ne s’agira pas non plus ici de traiter tous les aspects de la biographie de Malek Jân qui fut à la fois femme de contemplation, de science et d’action, pas plus que de détailler sa pratique de la prière et de l’éthique, sa charité, son implication dans l’action spirituelle et sociale. Ces aspects ont été abordés dans la partie biographique de l’ouvrage déjà mentionné[2] et auquel on pourra se reporter pour plus de précisions.

Il est indispensable malgré tout d’évoquer quelques aspects de cette biographie sans lesquels on ne saurait saisir la nature de sa relation avec le divin et les figures de l’Aimé telles qu’elles apparaissent dans son œuvre.

Quelques éléments de biographie

Malek Jân Ne’mati nacquit le 11 décembre 1906 dans un petit village du Kurdistan iranien. Bien qu’elle fût une femme, elle reçut une éducation classique dès son plus jeune âge, fait assez exceptionnel à son époque et dans le milieu rural où elle a vécu, pour être souligné. Elle était en effet la fille d’un grand mystique vénéré de son vivant comme un saint, Hâji Ne’mat (1871-1920). Ce père qui mit autant de soin à l’éducation de ses filles qu’à celui de son fils, était en même temps un homme de lettre et un poète mystique. Son œuvre, à la fois en langue kurde et en persan est encore à l’état de manuscrit à l’exception notable de son Livre des rois de Vérité (Mokri-Jeyhounabadi, 1985) dans lequel il relate (en 15000 distiques) l’histoire spirituelle de l’humanité et des envoyés successifs qui reçurent la mission divine d’instruire les hommes sous la forme des religions révélées ou de diverses doctrines spirituelles. Son œuvre, sa personnalité et sa pensée universaliste ont profondément marqué Malek Jân, même si celle-ci est devenue orpheline de père à l’âge de 14 ans. C’est aussi à cet âge qu’elle fut frappée par une maladie des yeux incurable qui lui fit progressivement perdre la vue. Cette cécité qui était considérée dans son milieu comme un vrai handicap (qui rendait par exemple impossible le mariage) ne l’empêcha pas de continuer toute sa vie à étudier et à vivre de manière indépendante. À la mort de son père, c’est son frère aîné Ostad Elahi (1895-1974)[3] qui prit en charge son éducation. Surtout, c’est lui qui fut le facteur déterminant dans sa formation ainsi que la source d’inspiration de sa pratique spirituelle, de son enseignement et de sa poésie. Sa biographie, largement documentée, n’a pas sa place ici. Notons simplement qu’il était à la fois magistrat, philosophe, penseur spirituel et maître incontesté et inégalé du tanbûr (luth traditionnel kurde). Pour elle, il était le frère aîné qu’elle a aimé mais aussi et surtout, un pôle spirituel et un sage accompli. Lui décela très tôt en elle, au-delà de l’intelligence, un vrai potentiel spirituel. Elle deviendra d’ailleurs son élève, le reconnaissant comme son guide sur « la voie du perfectionnement » :

Les univers spirituels étaient d’une telle richesse qu’après le départ de mon père, je fus désorientée. J’ai cherché incessamment une direction spirituelle qui me conduise à la Source et ce n’est que vers l’âge de trente ans que j’ai trouvé cet axe en la personne de mon frère Ostad Elahi. Tout ce que j’ai compris et transmis par la suite, ce sont ses enseignements et ses principes. Tout ce que je sais vient de lui. J’ai été très heureuse qu’il m’accepte comme élève.[4]

La notion d’« élève » est très importante car Malek Jân s’est toujours considérée comme une étudiante en quête de vérité, même quand elle a elle-même eu la charge d’éduquer à son tour des « élèves » et parce que pour elle, la pratique spirituelle était un cheminement dynamique et constant vers la connaissance. Pour Ostad Elahi, le cheminement spirituel est fondamentalement un travail sur la prise de conscience de la nature et de la destination de l’âme. Il est connaissance de soi à travers une analyse intérieure du fonctionnement du soi et par la lutte contre le « soi impérieux » (instance des pulsions ou le « ça »[5]). Il s’agit de connaître sa nature et de parvenir par la volonté, l’exercice (dont les prières, les dévotions, les ascèses) et le travail éthique (pratique de la charité, lutte contre les pulsions du soi) à la transformer. Tout cela revient à ce qu’il appelait « l’éducation de la pensée juste » qui consiste à appliquer les principes divins « originels ».

Mais pour être dirigée dans ce cheminement, Malek Jân ressentait le besoin d’avoir recours à un guide expérimenté qui ait déjà fait le chemin avant elle. C’est en Ostad Elahi qu’elle a trouvé ce guide :

Il faut un guide expérimenté qui prenne l’apprenant par la main et le mène où il doit aller.
Ostad lui-même a expérimenté ce qu’il m’a dit. Et moi, j’ai assimilé ces points ; je travaille sans cesse sur ces idées.
(MJN : 80)

On perçoit ici la tendance méditative qui la caractérise, cette façon de réfléchir en profondeur sur les choses pour les assimiler et les faire siennes. Elle avoue elle-même avoir une âme « qui ne connaît pas le repos » (MJN : 42) dans le sens où elle est sans cesse en demande de connaissance et de compréhension. Elle fut donc une élève particulièrement brillante qui voulait apprendre et progresser toujours plus sous la direction de celui qu’elle considérait à la fois comme son guide et son pôle. Et jusqu’à la fin de ses jours, même longtemps après la mort d’Ostad Elahi, elle se sentira connectée à lui, comme « habitée ». Il fut sans aucun doute la figure majeure de l’Aimé dans la vie et l’œuvre de Malek Jân.

L’Aimé comme théophanie

Dans la littérature mystique persane, l’Aimé (ou la Face de Beauté qui habite toute l’imagerie de la poésie mystique) a toujours un caractère théophanique dans le sens où il manifeste Dieu dans une représentation qui est à la fois forme, lumière, image et quintessence de la beauté[6]. Toute la tradition de la poésie persane d’inspiration spirituelle (et en particulier chez ‘Attâr –XIIème siècle-, Rûmî –XIIIème siècle et Hâfez –XIVème siècle- pour ne citer que les plus grands) emprunte son caractère visionnaire à cette manière théophanique de se représenter et de représenter l’Aimé divin. Car une vision directe de Dieu est impossible à soutenir même pour les yeux de l’âme. Il faut cet intermédiaire qu’est l’image de la beauté irradiant la lumière de Dieu. Malek Jân dit elle-même à ce propos :

Pourquoi faut-il chercher à « connaître Dieu dans l’humain ? ». Tant que l’on n’arrive pas à aimer quelque chose, on ne peut pas en bénéficier pleinement. Mais pour pouvoir aimer une chose, il faut la voir. Dieu ne peut pas être vu. Même s’Il comble tous nos besoins, cela ne suffit pas pour L’aimer. Pour qu’on puisse L’aimer et établir un dialogue intime avec Lui, Il doit nécessairement se manifester dans une « forme » et que nous aimions cette « forme » ; peu à peu la forme disparaît et il ne reste plus que Lui.
Quand l’homme L’aime, il a l’attention tournée vers Lui. Il prie, il est motivé (…) Ce sont là des choses que j’ai expérimentées moi-même. Ce n’est pas à travers les mots que l’on peut connaître Dieu. Il faut arriver à Le connaître vraiment. Plus ton âme tisse des relations intimes avec Lui et plus tu Le connais. C’est indicible.
(MJN : 112)

Ainsi, le caractère visionnaire est prédominant. L’âme « voit » une forme qui la guide vers la vérité de la théophanie et donc à l’essence indicible de Dieu. Il est d’ailleurs frappant de constater (comme nous le verrons plus loin) à quel point la poésie de Malek Jân (qui pourtant était aveugle) est très puissamment visuelle.

Si le caractère théophanique de la figure de l’Aimé est une constante de la poésie mystique persane qui a d’ailleurs fortement inspiré la poésie kurde (langue poétique de Malek Jân alors que son enseignement spirituel oral se faisait plutôt en persan), le cas le plus emblématique est celui de Jalâl al-dîn Rûmi (1207-1273)[7] qui voyait dans la figure de son compagnon spirituel, Shams (dont le nom même signifie le soleil) une manifestation théophanique. Toute son œuvre poétique lui est dédiée et le célèbre comme le soleil de la vérité. Et surtout, face au Soleil de l’Aimé, Rûmi se considère comme rien. Le nom de plume qu’il s’est choisi (khâmouch ou celui qui est éteint et silencieux) indique qu’il considère que dans ses poèmes, ce n’est même pas lui qui parle mais cet autre qui l’habite (Anvar, 2004 : 146). Malek Jân qui goûtait à sa juste valeur la poésie de Rûmi et aimait se la faire lire, s’était choisi, quant à elle, comme nom de plume « kamineh » (qui signifie l’infime). L’effacement de soi est en effet un élément essentiel de l’expérience théophanique. Il s’agit de s’effacer pour qu’advienne dans l’âme la vision de l’Aimé. D’où l’importance du thème de la brûlure : l’amour, c’est brûler parce qu’il n’y pas d’amour véritable sans une forme d’anéantissement du soi. Ce n’est que quand l’âme a pris conscience qu’elle n’est rien et ne peut rien qu’elle peut enfin se laisser guider :

Lui seul peut m’aider
Le Bien-Aimé
Par Ostad secondé

Alors de moi satisfait,
Mon Bien-Aimé
Enfin pourra me libérer

Ostad est mon guide
Vers le Bien-Aimé
Sur le chemin, Lui mon refuge

A moi qui ai tant péché
Moi Janie, ô mon Aimé
Moi sans vie parmi les morts

Moi qu’Ostad a ressuscitée
Ostad aimé
Ma main à sa main amarrée.

Ici le thème de l’effacement se dit dans le besoin de l’Aimé secoureur auquel on ne peut accéder que par la guidance d’un autre (ici, le guide est très clairement identifié puisqu’il s’agit d’Ostad Elahi et se confond à la fin du poème avec l’Aimé source de vie). Mais l’effacement, c’est aussi l’humilité de se reconnaître pècheresse et faible et infime au point de se voir comme « sans vie ». Il importe aussi de signaler qu’il y a un jeu de mot avec Jânie (surnom qu’Ostad Elahi avait donné à sa sœur) qui renvoie au mot jân, mot signifiant à la fois la vie, l’âme et l’être cher. Une Janie « sans vie » puis ressuscitée renvoie ainsi au paradoxe que les mystiques de toutes religions ont médité : le fait qu’il faut « mourir avant de mourir »[8] pour naître à son être véritable et recevoir la vraie vie qui est survivance de l’âme et non pas exil dans le monde, « parmi les morts ».

Les images de l’Aimé

Quelles sont ces images par lesquelles l’Aimé se manifeste au miroir de l’âme ? Loin d’être des illusions, les images de la poésie mystiques sont les manifestations d’une réalité plus intense et plus authentiquement réelle que le monde matériel ordinaire. Elles relèvent de ce que les penseurs spirituels de l’Iran ont appelé le monde imaginal (‘âlam al-mithâl), dimension qu’Henry Corbin a magistralement exploré et qu’il définit en ces termes :

(…)[c’est] un monde intermédiaire… `âlam al-mithâl, monde de l’Image, mundus imaginalis : un monde aussi réel ontologiquement que le monde des sens et le monde de l’intellect ; un monde qui requiert une faculté de perception qui lui soit propre, faculté ayant une fonction cognitive, une valeur noétique, aussi réelles de plein droit que celles de la perception sensible ou de l’intuition intellectuelle. Cette faculté, c’est la puissance imaginative, celle justement qu’il nous faut garder de confondre avec l’imagination que l’homme dit moderne/ identifie avec la « fantaisie », et qui, selon lui, ne secrète que de l’« imaginaire ». (Corbin, 1964:8)

C’est cette faculté noétique que les mystiques ont développée par l’exercice de la méditation et la purification intérieure. Car le réveil des facultés perceptives de l’âme n’est possible que dans le cadre d’un travail spirituel assidu. Pour Malek Jân ce réveil n’était pas un but recherché mais un corollaire naturel de son entreprise spirituelle. Sa poésie montre qu’elle chemine intérieurement dans un monde intérieur peuplé de visions imaginales sur lesquelles elle tente de mettre des mots. Traditionnellement, c’est le langage poétique, basé sur la métaphore qui permet de rendre compte au plus près de cette dimension intérieure et devient ainsi le lieu de manifestation visuel de l’imaginal. C’est ainsi que son œuvre qu’elle ne concevait que comme une forme de méditation, témoigne du paradoxe d’une poésie « visionnaire » (au sens où elle exprime une expérience de la vision spirituelle) composée par une femme qui a perdu la vue :

Où que je regarde, il n’y a que Toi
L’unique sans égal, le sauveur, c’est Toi

Le toit, la porte, la fenêtre, Toi
En dehors de Toi, rien, excepté Toi

En quelque forme que Tu te révèles
Rien n’est hors de Toi et Toi tu es Toi

C’est Toi qui m’as pris la vue qui voit double
Toi qui m’a montré l’unicité, Toi

Le ciel et la terre, l’ici, l’au-delà
Ô Toi sans pareil, Toi, tout n’est que Toi
(MJN : 88)

Ainsi, privée de « l’œil du corps » qui produit « la vue double », celle qui sépare la réalité du Créateur de la réalité des créatures, elle peut « regarder » partout avec l’œil grand ouvert de l’âme et constater l’unité de l’être : la dimension imaginale témoigne qu’il n’y a pas de solution de continuité entre le monde spirituel et le monde matériel. Cette dichotomie n’est qu’une illusion d’optique précisément car ce qui fait être et tenir le monde, c’est le monde imaginale où s’originent les archétypes et qui englobe toutes les strates de la réalité. Pour Malek Jân, toutes les formes intérieures et extérieures ne sont que les diverses manifestations de la réalité totalisante de l’Aimé. Et c’est avec les yeux de l’âme qu’elle regarde les images du monde spirituel reflétées au miroir de son propre être. Dans un autre poème, elle dit :

Tu es l’allumette
et la lampe
Le jardinier
et le jardin
Tu es rossignol
tu es chant
Bouton de rose
parfum flottant
La guerre et la paix
en même temps
A chaque heure
et chaque instant
Tu déploies
tes mille couleurs
Tu es le miroir
aux merveilles
Présent et absent
sans pareil
(MJN : 89)

Le thème de la lumière est classiquement associé à l’apparition théophanique au sens où l’apparition elle-même est lumineuse et qu’en même temps, elle éclaire le monde d’une lumière nouvelle et fait voir toutes les formes et en particulier toute beauté sous un jour nouveau, comme le lieu d’une manifestation. L’image théophanique n’est pas seulement un objet de contemplation : sa fonction est d’éclairer les ténèbres du monde. Mais ici, la poétesse elle-même allume la torche de la vision à travers une simple énumération afin de faire voir l’Aimé protéiforme. En réalité chacune des images qu’elle suggère correspond à une constellation métaphorique dans la poésie persane classique (qui est sa référence esthétique). Ainsi le feu de l’allumette et de la lampe renvoie à la fois au fond mythologique mazdéen où la lumière et le feu sont les lieux de manifestation de l’âme suprême du monde et en même temps, cette même lampe est une allusion immédiatement perceptible à ces versets de la sourate de la Lumière (XXIV, 35) qui n’ont cessé d’inspirer jusqu’à aujourd’hui, la poésie mystique en terre d’Islam :

Dieu est la lumière des cieux et de la terre. Sa lumière est semblable à une niche où se trouve une lampe. La lampe est dans un verre pareil à un astre étincelant qui s’allume grâce à un arbre béni : un olivier qui n’est ni de l’orient ni de l’occident et dont l’huile brillerait sans qu’un feu la touche (…) (Boubakeur : 116)

De la même façon, le jardin figure en poésie persane, le lieu imaginal par excellence, le lieu idéal où le printemps (temps du renouveau de l’âme vivifiée par le souffle de l’Aimé) déploie les mille couleurs des infinies manifestations de l’Aimé. Au cœur de ce jardin aux merveilles devenu temps et espace de manifestation de l’Aimé, les personnages centraux sont la rose et le rossignol. La rose rouge est la métaphore idéale de l’Aimé, en raison de sa forme parfaite, de sa couleur (le rouge est l’une des manifestations de la lumière divine) et de son parfum suave. Ainsi dans un texte célèbre, intitulé La roseraie du Mystère, Mahmoud Shabestari (XIVème s.) écrit :

Toute langue ne sait pas évoquer cette roseraie
Seul le jardinier pourrait t’en parler
Lorsque le parfum de cette rose se lève devant moi
Comme le lys, ma pensée ouvre dix langues
Sous chaque pétale de rose, il y a une étoile
Dont la racine traverse toute la terre
Ses branches atteignent le non-espace
Et son ombre enivre le ciel.
(Lâhiji : 717)

Quant au rossignol, il est l’amant « à l’âme enfiévrée » (MJN : 81) qui attend la rose rouge pour la chérir et la chanter dans l’ivresse béatifique de sa vision. Le chant mélodieux et amoureux du rossignol est donc devenu aussi la métaphore de la poésie, scellant ainsi le lien intime qui unit expérience de l’amour et expérience poétique. Chez Malek Jân, le rossignol est une figure de l’âme elle-même, à la fois aimante et source du chant poétique :

Oiseau de mon âme, chante sur la branche
Chante la rose rouge mélodieusement
Perché sur la branche
(MJN : 81)

Cependant dans ce poème particulier de « l’allumette et de la lampe », c’est l’Aimé lui-même qui est à la fois « bouton de rose » et « rossignol », comme pour mieux signifier l’effacement même de l’amant et du poète. Le chant lui-même ne provient plus que de l’Aimé qui englobe ainsi tout ce qui est dans un même mouvement unificateur.

Une autre caractéristique de l’Aimé tel qu’il se présente à l’âme, c’est qu’Il est à la fois « passif » dans le sens où il est une image qu’il faut contempler ou saisir et « actif » dans le sens où c’est lui qui fait être les choses et en particulier les images de lui-même qui font de lui un être multiforme ou protéiforme (« mille couleurs », « merveilles », « miroir ») et il se renouvelle sans fin puisqu’il change de forme et de couleur à « chaque instant ». Il est aussi paradoxal car il réunit les contraires : la guerre et paix, la présence et l’absence. Or il se trouve que ces caractéristiques sont aussi celles de la métaphore poétique. Car la métaphore est de tous les tropes, celui qui exprime le plus pleinement à la fois la présence et l’absence. Ainsi que l’écrit Ricœur : « …cette proximité entre l’énigme et la métaphore n’est-elle pas toute entière fondée sur l’appellation étrange : ceci (est) cela, que la comparaison développe et en même temps amortit ? L’écart qui affecte l’emploi des noms procède de l’écart de l’attribution elle-même : ce que le grec appelle précisément para-doxa, c’est-à-dire déviance par rapport à une doxa antérieure. » (Ricœur, 1975:39).

La métaphore est une image qui tient place de l’indicible et invite à la contemplation de l’au-delà de sa pure beauté. D’où sa centralité dans la poésie mystique. Pour le mystique, l’image/métaphore est reflet d’une vision intérieure et en même temps le lieu de l’indicible et partant, du paradoxe. Car on ne saurait pas « dire » cette expérience de l’amour, de l’apparition de l’Aimé dans le miroir du cœur et du monde, du moins pas autrement que comme une manifestation dans l’image qui réunifie les contraires. Et ce qui est frappant, c’est que l’image prend alors une valeur « noétique », elle devient source de connaissance et accès à la vérité. Ainsi :

Pour qui cherche le Vrai
Que vienne la grâce
Qui lève le voile, grâce du Dieu Vrai

Donnant l’argument
Suprême vérité
Qui du ça funeste attache les pieds

Demandez refuge
Au Dieu de bonté
Qu’il vous fasse voir l’Essence Adorée (…)
(MJN : 71)

On voit comment ici, dans le champ de la contemplation, la vision devient « argument » de vérité. Comme une évidence de la connaissance, elle s’impose alors, forte de sa seule présence imaginale qui « lève le voile » de l’illusion. En même temps, la référence au « ça funeste » renvoie aux pulsions que seule la connaissance peut maîtriser et montre le lien qui s’établit entre beauté visualisée, connaissance et lutte contre tout ce qui empêche de voir cette beauté révélée à l’âme. Dieu apparaît comme une entité abstraite mais qui « fait voir » son Essence forçant ainsi l’adoration contemplative. Ici, le processus de la vision spirituelle demande réceptivité mais ne dépend pas de celui qui le reçoit. En ce sens, il est une grâce. Et les mots du poème sont le produit de cette grâce : c’est ce que l’on appelle littéralement l’inspiration.

À d’autres moments, la vision apparaît sous la forme d’une entité spirituelle spécifique. Par exemple, dans le poème intitulé « Leyli ». Dans la littérature classique persane, Leyli (ou Leylâ dans sa prononciation arabe) est la figure par excellence de l’Aimée théophanique[9]. Son nom qui renvoie à la nuit et sa chevelure noire ont pour corollaire sa cruauté ombrageuse qui n’a d’autre but que d’amener l’amant à se dépasser lui-même pour pouvoir traverser le nuit du monde et déboucher sur la lumière théophanique de l’aube. Aimer Leyli, c’est s’accepter Majnûn, nom de l’amant-poète qui aima, comme son nom l’indique, à la folie (majnûn signifie littéralement « possédé par les démons et donc fou). Le fait qu’une femme voit le reflet de l’Être aimé dans une représentation féminine est classique dans la mesure où Leyli n’est pas une femme mais un archétype de la théophanie. Malek Jân la présente d’ailleurs comme un « nom » qui lui est apparu et une manifestation du bien-aimé, sachant que dans la tradition spirituelle de l’Islam, les noms de Dieu sont en eux-mêmes des objets de contemplation dans leur forme calligraphique autant qu’objets d’audition intérieure par la pratique du zikr (ou remémoration des noms de Dieu). Chacun des noms divins sont comme autant d’attributs reflétant l’infinie variété de Ses facettes. Voici des extraits de ce poème précédé d’une explication de Malek Jân :

Au mois de janvier 1956, j’ai connu un état de joie spirituelle et le bien-aimé divin s’est présenté à moi sous le nom de Leyli ; ce n’était pas vraiment Leyli mais c’est le nom par lequel il m’est apparu.

(…)
Leyli aimée, ma Leyli, Leyla mon amie
Tantôt ombrageuse, tantôt cajoleuse,
Leyli

En voyant les boucles de tes cheveux, Leyli
On perd la tête et la foi et la loi
Leyli

(…)
Dans le cœur et dans l’âme, éveille ma conscience
Fasse que ton soleil illumine l’ombre
Leyli

(…)
Qu’ai-je fait, qu’ai-je dit que fronces-tu les sourcils ?
Pourquoi me voiler ton visage ainsi ?
Leyli

Arrête de jouer à l’habile ennemie
Cesse ce jeu cruel et sanguinaire
Leyli

Enlève ce voile, ô Leyli, je t’en supplie
Fais-moi respirer ton parfum exquis
Leyli
(MJN : 102-103)

On le voit, l’enjeu du dialogue avec l’Aimé, l’enjeu de la supplication que devient le poème est bien la vision béatifique de la beauté dévoilée. Ce dévoilement devient par oxymore avec le nom même de Leyli (« la nocturne »), illumination solaire ; ce qui associe encore une fois la vision de la Face de beauté à la connaissance intérieure. Lorsque l’Aimé apparaît au miroir du cœur, il ne subsiste pas de zone d’ombre pour peu que le cœur soit une surface lisse, purifiée de toutes les passions illusoires. Mais avant de se manifester, l’Aimé exerce une forme de cruauté sur l’amant, cruauté qui est l’un de ses attributs traditionnels. Car la souffrance que l’Aimé inflige à l’amant est destiné à le préparer, à polir précisément par le feu de la douleur et du désir, le miroir intérieur. Les manifestations de l’Aimé ne sont pas données d’emblée ; elles doivent se mériter par un long cheminement intérieur au cours duquel toute égoïté doit disparaître pour ne laisser place qu’à l’amour.

Le parfum de l’Aimé

Mais l’évocation du « parfum exquis » de Leyli nous indique que les manifestations théophaniques ne sont pas que « visuelles ». Au même titre que l’image, le parfum est une manifestation du spirituel dans le monde sensible. Chez Malek Jân, les parfums tiennent une place très importante et des témoignages rapportent qu’il lui arrivait d’indiquer qu’elle percevait des parfums lors d’une séance d’audition mystique et que chacun de ces parfums était le signe de l’une des formes de la manifestation divine. Elle aimait aussi s’entourer de fleurs parfumées et tout particulièrement de roses.

Ainsi :

Que le cœur converge vers sa senteur
Que toute la nuit, jusqu’à l’aube claire
La loue et l’adore

Ce point de senteur, point d’unicité
Est source d’ivresse
Pour le rossignol à l’âme enfiévrée
(MJN : 81)

Comme la métaphore, le parfum est la présence d’une absence. Elle est le signe palpable d’une présence qui ne se peut saisir que par ses effets ; ici, la suavité et l’ivresse. Et pourtant, sa présence est si intense, qu’elle devient, comme l’image, un « point de convergence » et de concentration pour l’âme. Loin d’être une impression vague et dispersée, le parfum a donc ici une fonction tout aussi iconique que l’image. Il s’agit évidemment de parfums qui ont la même qualité que les apparitions imaginales, à savoir qu’ils sont plus réels que les parfums du monde matériel dont ils sont d’ailleurs, en dernière instance, les archétypes. Encore une fois, le parfum est un topos classique en littérature persane où le zéphyr personnifié joue un rôle essentiel puisqu’il revivifie l’âme en lui apportant le parfum de l’Aimé, se faisant ainsi, messager de l’amour, invisible et pourtant saturé de la suave présence de l’Aimé.

Mais il arrive aussi que pour dire l’indicible de la présence, il faille renoncer finalement à toute image et à tout parfum :

Il est sans odeur, sans couleur
Mon Bien-Aimé
Sans odeur et sans couleur

Il n’a ni colère ni fureur
Mon Bien-Aimé
Ni lieu, ni temps, ni passé ni présent

Lui donner forme ou attribut
A mon Aimé
C’est manquer à la foi et l’ignorer

Ô mon cœur, cherche la détresse
En quête de l’Aimé
Ne laisse pas l’odeur et la couleur te détourner
(MJN : 74-75)

Ainsi, les multiples images de l’Aimé, ses parfums qui étaient les signes tangibles de sa présence finissent par devenir eux-mêmes comme un voile qui empêcherait de L’appréhender comme pure Essence. C’est l’éternel paradoxe des attributs et de l’Essence : sans les attributs, l’Essence ne peut se manifester et lorsqu’elle se manifeste, elle contredit dans sa manifestation même son essence qui est d’être au-delà de toute représentation et de toute perception. Sans cesse, les poètes mystiques soulignent cette tension paradoxale qui donne corps à leurs perceptions et à leur expression. Et c’est sans doute pour cela qu’ils oscillent entre la parole et le silence. Car en dernière instance, la seule façon d’évoquer l’Aimé, c’est dire, comme ici, ce qu’Il n’est pas ; dire qu’Il n’est dicible ni en couleurs, ni en images, ni en parfums ; dire qu’Il est mais d’une présence impossible à mettre en forme.

C’est peut-être là, la fonction même de la poésie : créer un langage qui puisse rendre compte de l’au-delà des mots et de la réalité. Mais cette fonction ne peut être remplie que par des êtres « inspirés », qui ont vécu certaines expériences intérieures dont ils rendent compte en images et en mots, par touches successives qui dessinent les contours des différentes nuances de l’expérience visionnaire. Pourtant, chez Malek Jân, la poésie n’est pas une forme majeure d’expression et il nous reste très peu de ces textes qu’elle a composés pour elle-même, comme en une sorte de méditation intérieure. Pour elle, semble-t-il, la poésie avait le même statut que la musique qu’elle pratiquait aussi (elle jouait du sétâr, instrument de la musique classique persane et le tanbûr ou luth sacré kurde) : elle était prière, louange, épanchement de l’âme dans un dialogue intime avec l’Aimé. Une très petite partie a été sauvée de la perte par quelques personnes avisées de son entourage. Le peu qui reste témoigne de la manière dont leur auteur appréhendait ce monde imaginal qui est la source d’inspiration des êtres visionnaires et des poètes. Et cette forme d’inspiration n’est donnée qu’à ceux qui ont par ailleurs poli la surface de leur cœur pour le rendre réceptif aux multiples images de l’Un et au rayonnement de Sa beauté. Ce n’est presque plus un acte volontaire, mais une façon de laisser l’Aimé agir dans les mots, sans jamais vouloir être soi-même, sans se fixer de but. Laisser simplement les événements survenir dans la contemplation : « Ne vous préoccupez pas ‘ d’arriver à Dieu’, disait Sheikh Jânie, Dieu est en chacun d’entre nous, Il n’est pas éloigné de nous. Ne vous fixez pas de but. Accomplissez ce que devez accomplir et confiez le reste à Lui. » (MJN : 116)

Leili Anvar, INALCO

Bibliographie :

  • ANVAR, Leili, Rûmî, Paris : Entrelacs, 2004.
  • Anvar, Leili, Malek Jân Ne’mati, « La vie n’est pas courte mais le temps est compté », Paris : éditions Diane de Selliers, 2007
  • BOUBAKEUR, Cheikh si Hamza (trad.), Le Coran, Paris : Fayard, 1979.
  • Corbin, Henry, « Mundus Imaginalis », dans Cahiers internationaux du symbolisme, Bruxelles, 1964, 6, p.3-26.
  • Corbin, Henry, Le Jasmin des Fidèles d’amour (Introduction), Paris : Verdier, 1991 et C-H. Fouchecour de, Charles-Henri, Le Dîwân de Hâfez (Introduction), Paris : Verdier, 2005.
  • Elahi Bahram, La voie de la perfection, Paris : Albin Michel, 2002.
  • Elahi, Ostad, 100 Maximes de guidance, Paris : Robert Laffont, 1995.
  • ELAHI, Ostad, Confidences prières, Paris : Robert Laffont, 1995.
  • Lâhiji Mohammad, Sharh-e Golshan-é Râz, Téhéran : Mahmoudi, 1959 ; p. 717.
  • Miquel André et KEMPF, Percy, Majnûn et Laylâ : l’amour fou, Paris : Sindbad, 1984.
  • Mokri-JEYHOUNABADI, Hâji Ne’mat, Shâhnâme-ye Haqiqat, Téhéran : 1985.
  • Ricoeur, Paul, La métaphore vive, Paris : Seuil, 1975.

[1] ^ANVAR Leili, Malek Jân Ne’mati, « La vie n’est pas courte mais le temps est compté », Paris : éditions Diane de Selliers, 2007. L’ouvrage comprend trois parties : une biographie de Malek Jân Ne’mati, la traduction de 19 poèmes illustrés, la traduction d’extraits de son enseignement oral. Toutes les citations de l’œuvre données ici sont tirées de cet ouvrage qui sera désigné par MJN suivi du n° de page.
[2] ^Voir note 1.
[3] ^Il s’agit d’Ostad Nour Ali Elahi (1895-1974), frère aîné de Janie et qui joua un rôle déterminant dans son éducation spirituelle et qu’elle considérait, comme en témoigne son œuvre, comme son maître, son guide, son pôle et son compagnon spirituel. Pour un aperçu de sa vie et son œuvre, voir Unicity, Paris : Robert Laffont, 1995 ainsi que Ostad Elahi, 1995a et 1995 b.
[4] ^Cité sur le site saintejanie.org.
[5] ^Pour un développement sur le « soi » et son fonctionnement, voir Elahi, 2002 : 34-46.
[6] ^Toute étude de la poésie mystique persane se doit d’aborder cette question. Voir en particulier Corbin, 1991 et Fouchécour, 2005.
[7] ^Voir Anvar, 2004.
[8] ^Une parole célèbre du prophète Mohammad que les mystiques iraniens ont tous médité mais dont on trouve déjà l’idée chez Platon lorsqu’il affirme que « philosopher, c’est apprendre à mourir ».
[9] ^Pour un exposé complet des origines de la légende amoureuse en la littérature arabe voir Miquel, 1984. En littérature persane, l’histoire d’amour a pris une connotation résolument mystique avec le magistral roman en vers de Nezâmî de Ganja (12ème s.), Leyli o Majnûn, dont une traduction en français est en préparation par l’auteur de ces lignes.


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7 commentaires

  1. kiny le 06 Nov 2012 à 13:32 1

    Merci pour ce si beau texte qui éclaire pour moi les poèmes de Malek Jan et invite à la méditation, au dialogue avec l’Aimé et à la pratique de la connaissance de soi.
    A lire et à relire…..

  2. Wilhelm le 07 Nov 2012 à 18:20 2

    La pureté de l’amour et la dureté de l’apprentissage

  3. charlie le 11 Nov 2012 à 17:39 3

    En lisant ses paroles et ses poèmes, on voit à quel point l’amour inondait cette femme, un amour pour tout son entourage, pour la vie, pour toutes les créatures, pour son Dieu. On la sent tellement humble, tellement au service de l’autre, elle a un coeur d’enfant émerveillé et toujours prêt à apprendre. Grâce au livre Malek Jan Nemati, j’ai été véritablement touchée de découvrir cette femme en apparence si fragile et d’une force intérieure et d’une persévérance incroyables, qui, malgré les difficultés sociales et contextuelles, malgré ses soucis de santé, a fait énormément pour que les femmes aient un droit à la parole, le droit d’apprendre, le droit d’être indépendante. Merci à Leili Anvar de l’avoir fait connaître et d’amener ses poésies parmi nous, qui ne sont pas simplement de jolis mots, mais issues d’ expériences personnelles et de sentiments très profonds.

  4. juliette le 17 Nov 2012 à 1:21 4

    La poésie est un genre qui est malheureusement bien trop souvent éloigné de mon esprit et de mon coeur. Mais les paroles de Malek Jan sont pour moi des cris d’amour divin, sans affectation, sans désir de paraître ni de plaire et chacun de ses mots ont pour moi une si grande résonance de pureté, de vérité qu’elles me mènent dans des lieux que je ne pouvais imaginer. Ses mots lèvent les voiles qui couvrent mon coeur et révèlent cet air si pur dont j’ai tant besoin pour survivre. Merci.

  5. radegonde le 12 Déc 2012 à 17:39 5

     » Ne vous préoccupez pas ‘ d’arriver à Dieu’, disait Malek Jan, Dieu est en chacun d’entre nous, Il n’est pas éloigné de nous. Ne vous fixez pas de but. Accomplissez ce que devez accomplir et confiez le reste à Lui. »

    Ces paroles m’aident à ne pas abandonner devant « les nombreux échecs » sur mon chemin dans cette société …IL intervient souvent alors que je désespère .. mais il faut être humble pour reconnaitre SON intervention dans la vie..

  6. Wilhelm le 16 Déc 2012 à 18:01 6

    C’est pertinent, Radegonde

  7. ATIG le 20 Jan 2013 à 18:45 7

    Bravo à Leili Anvar pour la fidélité au texte original tout en ayant le souci de transmettre la beauté spirituelle et l’amour du Divin des poèmes de Malek Jân.
    Un grand merci quelle belle oeuvre.

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