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Ce silence qui est d’or…

Ce silence qui d'or...

Parler à bon escient ? S’obliger à garder le silence ? On dit que le silence est d’or, mais il existe aussi des silences coupables… En la matière, les situations sont si diverses qu’il est à première vue difficile de fixer une ligne générale. À défaut d’une recette miracle, on peut du moins tenter un début de taxinomie.

Dans la suite de notre article, « Paroles, paroles… », nous poursuivons notre exploration de la parole comme lieu de pratique in vivo. Wilhelm, au commentaire 8, note :

Tout dépend des circonstances, mais le silence permet parfois de résister aux attaques et paroles malveillantes des autres sans relancer la polémique. En ne répondant pas à une attaque par une attaque, on gagne souvent en respectabilité, mais aussi efficacité, et on acquiert aussi une certaine estime de soi, doublée d’un contrôle de soi accru. Le silence peut aussi empêcher son propre ego de se manifester et conséquemment parfois aussi effacer les velléités et racines négatives de cet ego. Cependant, parfois, face aux malveillants il convient aussi de se défendre. Tout dépend des circonstances. C’est un exercice subtil et délicat.

Cet art du silence, « exercice subtil et délicat », voilà notre sujet. Non pas que la pratique du silence soit par essence meilleure – le silence aussi peut être « de plomb », et certaines omissions sont parfois criminelles tant elles blessent plus que mille mots. C’est, d’une certaine manière, ce que relève Lola dans le commentaire 2 :

Je me suis demandée où dans cette typologie on pouvait mettre la parole ingrate ou plutôt le manque de gratitude. J’ai remarqué, en me comparant à des proches qui remerciaient spontanément et régulièrement, qu’il y avait plusieurs occasions où je ne pensais pas à remercier. Par exemple, mon mari me rend un service : il poste la lettre qui traîne dans l’entrée depuis 3 jours, il change l’ampoule du couloir dont je m’étais plainte, il me fait une installation informatique… et je ne prends pas le temps de le remercier. Je l’amène à se sentir frustré et à me demander : as-tu vu que j’avais réparé tel élément…? Ce serait plutôt une parole manquante, pas assez chaleureuse, pas assez positive, paradoxalement alors que je peux être très chaleureuse dans d’autres circonstances…

Mais voilà, le silence peut être d’or et c’est cette alchimie-là que nous aimerions ici évoquer. Ce qui nous intéresse, c’est ce moment où, pressentant une manifestation du soi impérieux, nous retenons une parole qui pourtant nous brûle le bout de la langue ; nous ravalons littéralement les mots qui blessent, humilient, friment, agressent, découragent, râlent, mentent, médisent, angoissent… Il y a un premier mouvement, celui de l’écoute, puisque toute parole engage un alter ego. L’écoute, active et bienveillante, constitue une pratique largement documentée par la psychologie contemporaine. Ce mouvement-là est important en ce qu’il m’amène à déporter ma conscience habituelle, habituellement centrée sur moi-même, mes préoccupations, mes petits bobos, ma vision du monde, etc., vers l’autre – c’est l’essence même de se mettre à la place d’autrui qui constitue le fondement de toute pratique spirituelle in vivo. Et puis vient ce deuxième mouvement, celui de la connaissance de soi – déclenché par l’énergie de la lutte engagée en premier. Avoir retenu cette parole dans l’intention de lutter contre le soi impérieux, c’est comme d’avoir gratté une allumette aux tréfonds de mon âme, dans la grotte du préconscient. Et ce ne sont alors pas des dessins rupestres qui se révèlent à mes yeux émerveillés, mais certains replis de mon soi. J’entrevois le point faible à l’origine de cette parole négative – bison terrassant l’homme à l’oiseau, au puits de Lascaux. Moment d’illumination, de révélation à soi. Ce que j’ai entrevu, c’est moi-même ; c’est mon soi impérieux que j’ai pu regarder en face : à l’œuvre, dans l’ombre. Ce silence est d’or, presque littéralement, puisqu’il participe de l’alchimie de transformation de notre soi ; il est le ressort par lequel je trouve de nouvelles ressources de lutte, de nouvelles raisons de lutter.

L’objet de cet article est donc de développer et d’illustrer une typologie du silence qui est d’or, comme en contre-point de cette parole qui est de plomb, et que nous avons évoquée précédemment. Espérons que la lecture de cette typologie et de ces exemples nous aide à nous projeter dans nos propres situations, et nous aide à forger une pratique in vivo, au quotidien, de lutte contre le soi impérieux.


Ce silence qui est d’or…

Silence de respect de la dignité

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C’est la parole blessante ou humiliante que l’on a retenue, alors même que l’on brûle de décocher sa flèche, parce qu’on en a senti la portée, et que l’on respecte la dignité de l’autre ; ou bien alors parce qu’on a reconnu en soi l’ego boursouflé qui nous inspirait à la dire.

exemple

Le comptable indulgent

À mon travail, je suis chargé de vendre certains produits. Une fois par semaine, je dois – normalement – faire les comptes, remplir des formulaires et donner le chèque correspondant aux recettes. Comme je suis quelqu’un de très brouillon, l’an dernier je ne remplissais pas toutes ces formalités chaque semaine, par négligence. Au bout de trois mois, le comptable a organisé une réunion pour parler des problèmes de budget. J’étais mal à l’aise car il savait très bien que je n’avais pas donné l’argent des trois mois passés, il pouvait le dire à toute l’équipe et me mettre dans un embarras incommensurable. En effet, tout le monde aurait pu penser que je n’étais pas sérieux ou, pire, que je voulais détourner de l’argent. Finalement, il n’a rien dit. Son silence était vraiment méritoire car expliquer ce qui se passait l’aurait bien aidé dans sa tâche. Son silence était pour moi un immense soulagement. S’il avait parlé, mes collègues m’auraient peut-être définitivement mal jugé. Depuis ce jour, je fais beaucoup plus attention, je suis plus sérieux. Habituellement, on pense qu’il est plus efficace d’exprimer clairement les problèmes pour améliorer les situations mais en fait, dans certains cas, le silence sur ceux-ci peut se révéler être plus efficient.

Silence d’apaisement

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C’est la parole agressive ou violente que l’on a retenue – souvent dans la situation où l’autre a exprimé sa colère, son insolence ou bien m’a fait violence, et que je brûle de répliquer pour me vider de ma pulsion agressive. Sans pour autant céder à la peur de l’autre ou bien à la crainte de lui déplaire. Mais parce que je prends conscience de ce qui en moi a provoqué l’agression de l’autre ; je comprends que perdre mon calme ne m’aidera pas et au contraire va envenimer la situation ; et je reconnais en moi la pulsion de vengeance qui ne vise plus qu’à détruire l’autre à tout prix.

exemple

Renoncer à l’email rageur

Dans le cadre de mon travail, j’ai récemment eu un conflit avec un partenaire, à qui je devais un service, pour lequel il ne m’est pas possible de lui donner entièrement satisfaction. J’ai donc été amené à refuser sa demande, refus que j’ai présenté de manière polie et courtoise. En réponse, je reçois un message méprisant de mon interlocuteur, lourd de menace (« je vais saisir votre haute hiérarchie ») et avec beaucoup de monde en copie du message électronique, notamment, certains de mes collaborateurs. Enragé par ce toupet, et me sentant blessé dans mon autorité, j’ai immédiatement commencé à rédiger un message encore plus polémique et avec encore plus de monde en copie de mon message… et en pesant chaque mot comme autant de flèches. Mais à un moment je me suis dit : « Mets-toi à sa place… même si son propos est inacceptable dans sa forme, sur le fond son insatisfaction n’est pas complètement infondée. Il faut que tu revoies ta position. » ; le fait d’avoir cette pensée a eu l’effet d’une douche froide. Immédiatement je me suis représenté cet interlocuteur, ses frustrations devant la situation, et je comprenais que son ton polémique était le résultat de cette frustration, je voyais que cette réaction était « humaine », indépendamment de la légitimité des exigences qui étaient à son origine (puisque cet interlocuteur considérait, de son propre point de vue et sincèrement, que ses exigences étaient légitimes et que moi j’agissais injustement). En m’appuyant sur cet effort d’empathie, je rédigeai un message mesuré et équilibré, sans aucune polémique – et où je donnais satisfaction à certaines exigences tout en expliquant les limites de ce qui pouvait être fait, et en reconnaissant que cette situation pouvait légitimement susciter des frustrations.

Silence de bienveillance

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C’est la parole critique, médisante ou calomnieuse que l’on retient, ou que l’on s’abstient de relayer ou d’encourager par notre écoute – alors que l’on se régalait déjà de ce que l’on était sur le point de dire ou d’entendre. Parce qu’on a présente en soi la représentation de la personne visée, et qu’en nous s’exprime son « avocat » qui nous somme de respecter son droit, de faire preuve d’humanité, de nous mettre à la place de l’autre.

exemple

Le soi impérieux déconfiné

C’était après la période de confinement lié à l’épidémie de Covid-19, en juin 2020. Cela faisait plusieurs mois que je n’avais pas croisé de collègue et pour la première fois, je me faisais une joie de déjeuner avec une collaboratrice que j’appréciais beaucoup. Très vite la discussion porte sur d’autres collègues ; à propos desquels nous partageons les mêmes vues sur leur caractère toxique, leur incompétence, etc. Le déjeuner s’accompagne donc d’un festin de médisance. Sortant du restaurant je suis presque sonné. Que s’est-il passé ? La dernière fois que j’avais été dans une telle situation, je m’en souviens encore, j’avais réussi l’épreuve avec brio. Un collègue m’avait même, après force éloges, tendu de multiples perches pour me faire médire : « Oui, telle personne t’a pratiquement harcelé, tu ne trouves pas ? » et j’avais vaillamment résisté. Et là, toutes les digues ont lâché en deux coups de fourchettes ? Je me suis rendu compte que, sur ce point, le soi impérieux avait été comme confiné pendant le confinement. De fait, cette période n’avait pas seulement mis un frein au virus, elle avait mis un coup d’arrêt aux calomnies de bureau et autre petits complots… les experts des « intrigues de bureau » étaient comme bras coupés. Et moi, j’avais oublié combien ces vieilles rancunes, que je croyais avoir résolues, étaient encore vivaces. Et à la première occasion je suis tombé dans le panneau. Je me suis vu comme le chasseur de dragon, pris au dépourvu car croyant, à tort, avoir vaincu le monstre…

Silence d’humilité

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C’est la parole valorisante que l’on a retenue, alors même que nous allions briller de tous nos feux – conscient de la vanité qui anime cette parole, de son inanité ou de l’effet négatif qu’elle aura sur les autres. C’est la promesse vague, l’information non vérifiée, que l’on évite d’exprimer même si cela nous valoriserait beaucoup sur le moment – conscient de la vanité qui nous inspire à la dire, et soucieux de ne pas susciter des attentes qui seront déçues.

Silence d’efficacité

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C’est l’évocation vaine de mon projet, que j’ai évité de faire – conscient qu’elle n’est qu’un ersatz à l’action, et pour mieux consacrer mon énergie à la réalisation ; je n’en parlerai que plus tard, quand il sera réalisé ou bien engagé, ou alors qu’avec telle personne réellement compétente qui peut m’aider. « C’est ceux qui en parlent le moins qui en font le plus ».

Silence d’optimisme

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Lorsque l’on s’abstient de relayer la mauvaise nouvelle, d’insister sur le côté négatif d’une personne ou d’une situation, ou que l’on ne s’épanche pas sur nos frustrations par nos plaintes incessantes – alors même que nous aimerions tellement partager sur toutes ces choses négatives qui nous affectent. Conscient de ce que ces paroles ont leur source dans l’amertume des frustrations, et que les propager, c’est nourrir cette source et altérer ma vision juste des choses.

Silence de maîtrise

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Lorsqu’on s’abstient de transmettre sans filet ses inquiétudes et angoisses, ses hésitations – alors même que nous brûlons de le faire. Parce que l’on est conscient que ce serait un exutoire temporaire qui ne résoudrait rien sur le fond, que la personne que l’on force à le subir n’en a éventuellement pas envie, etc.

exemple

La sœur silencieuse

J’avais connaissance d’un acte gravement anti-éthique que mon frère avait commis. J’avais envie d’en parler à mes parents parce que j’avais l’impression que ça me ferait du bien, que ça me soulagerait. J’avais besoin d’exprimer la chose, de la décortiquer, de la comprendre et d’entendre l’avis des autres. Ce n’était pas de la médisance. Je me suis alors mise à leur place, de parents. J’ai pensé que si je leur en parlais, ils seraient très affectés car il s’agissait d’un acte qui leur ferait honte. Je me suis donc retenue et j’ai pris la décision de ne jamais leur en parler, ni à eux, ni à mon grand-père. Il m’est arrivé d’avoir à nouveau envie de leur en parler mais à chaque fois je pensais à la décision que j’avais prise et je ne disais rien. J’ai ressenti une frustration mais en même temps j’avais le sentiment profond que c’était beaucoup mieux pour eux. Pour m’aider à me taire, je me raisonnais à chaque fois en me demandant « à quoi cela sert-il de leur dire ? Est-ce que cela leur est utile à eux ? Non, au contraire, ils en souffriraient longtemps. Est-ce que cela m’est vraiment utile, à moi ? Peut-être que j’aurais l’impression de me soulager sur le moment, mais après je serais mal de les voir malheureux. De plus, cela ne changerait rien à la situation ».

Silence de délicatesse

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Lorsqu’on s’abstient d’un propos grossier, prenant conscience de notre contexte, de la vulgarité de l’idée qui a germé en nous et qui porte ce mot, de la dépréciation de notre image que ce mot va nous coûter ; on fait ainsi l’apprentissage du tact et de la délicatesse verbale. Éviter un mot déplacé ce peut être aussi : ne pas relever la contradiction d’un discours, ne pas couper la parole, ne pas relever une faute de français, ne pas relever que la personne radote, etc.

exemple

Visite à l’hôpital

Il y a quelques jours ma mère m’a demandé d’aller voir une de ses amies d’enfance hospitalisée. Je n’avais aucune envie d’y aller et la perspective d’échanger des banalités pendant une heure m’exaspérait et me donnait l’impression d’aller gâcher un de mes derniers après-midi de vacances. J’y suis quand même allée à reculons car je n’avais pas le prétexte d’un travail harassant pour échapper à cette corvée. Quand je suis arrivée dans la chambre d’hôpital, la personne était au téléphone avec son fils. Quand elle m’a vue, son visage s’est illuminé d’un merveilleux sourire qui m’a fait chaud au cœur et c’est avec beaucoup d’enthousiasme qu’elle a annoncé à son fils qu’elle avait ma visite. Aussitôt elle s’est mise à raconter tous les vieux souvenirs qu’elle avait avec ma mère. Ce sont des histoires que je connais par cœur et que j’ai entendues mille fois. D’habitude, je coupe la personne en rappelant que je connais l’histoire en donnant mille détails qui confirme ma bonne mémorisation de l’événement. Mais cette fois-ci, je voyais bien qu’elle enchaînait anecdote sur anecdote pour me retenir et profiter de ma présence. Je me suis donc tue et fait comme si j’entendais ces histoires pour la première fois en mettant dans mon regard beaucoup d’attention, de curiosité, de chaleur, voire parfois de l’admiration. Mon intention était de la rendre heureuse, de lui faire plaisir et finalement j’ai pris beaucoup de plaisir à l’écouter et surtout à voir s’animer son visage et à remarquer ses prunelles qui brillaient. Tout d’un coup ce n’était plus la vielle femme malade, seule dans un hôpital : elle avait trente, quarante ans et je retrouvais la voix et les expressions de la femme que j’ai connue dans ma petite enfance et que j’avais oubliées. J’ai ressenti une onde de chaleur m’envahir : celle provoquée par le plaisir de faire plaisir. Et moi-même je suis repartie de cette visite complètement requinquée…tout simplement pour m’être tue et avoir écouté !

Silence d’écoute

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Lorsque, confronté à un silence, nous éprouvons un besoin urgent de remplir ce vide qui nous met si mal à l’aise – et nous nous retenons pourtant de parler « pour ne rien dire » ; conscient du caractère maladif de cette envie volubile, nous nous installons dans le silence, avec l’autre. Ou encore, lorsque dans l’échange avec l’autre, nous avons ce besoin impérieux d’occuper la conversation, ou de tout ramener à soi, aux sujets qui nous valorisent… Conscient de ce que ce besoin de parler relève d’une tentative d’envahir l’autre, de dominer la relation, nous nous faisons économe en paroles, nous nous plaçons en situation d’écoute active – tout concentré sur l’autre, ce qu’il dit, ce qu’il ressent ; attentif à ce que, devant nous, il se déploie.

Silence de discrétion

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Ce moment où nous brûlons de révéler un détail, secret ou pas, de notre vie ou de la vie d’un tiers – mais où l’on se retient. Où nous prenons conscience que cette parole pourra avoir des répercussions fâcheuses, sur soi, sur l’autre ou le tiers ; où nous réfléchissons en terme de respect du droit d’autrui ; où nous nous souvenons aussi des limites de notre parole – notre inaptitude à connaître tous les tenants et aboutissants de la réalité que nous voulons énoncer, et les distorsions que nous introduisons quand pourtant nous prétendons la rapporter fidèlement. Parfois, par notre discrétion, nous sauvons la face d’autrui et nous l’aidons alors à devenir autre, à transcender les limites de son acte négatif passé, comme nous aimerions qu’un autre le fasse pour nous.

exemple

La discrétion qui sauve

Extrait des Misérables de Victor Hugo, livre deuxième, chapitre 12 :
Un brigadier de gendarmerie, qui semblait conduire le groupe, était près de la porte. Il entra et s’avança vers l’évêque en faisant le salut militaire.
– Monseigneur. dit-il.
À ce mot, Jean Valjean, qui était morne et semblait abattu, releva la tête d’un air stupéfait.
– Monseigneur ! murmura-t-il. Ce n’est donc pas le curé…
– Silence, dit un gendarme. C’est monseigneur l’évêque.
Cependant monseigneur Bienvenu s’était approché aussi vivement que son grand âge le lui permettait.
– Ah ! vous voilà ! s’écria-t-il en regardant Jean Valjean. Je suis aise de vous voir. Eh bien, mais je vous avais donné les chandeliers aussi, qui sont en argent comme le reste et dont vous pourrez bien avoir deux cents francs. Pourquoi ne les avez-vous pas emportés avec vos couverts ?
Jean Valjean ouvrit les yeux et regarda le vénérable évêque avec une expression qu’aucune langue humaine ne pourrait rendre.
– Monseigneur, dit le brigadier de gendarmerie, ce que cet homme disait était donc vrai ? Nous l’avons rencontré. Il allait comme quelqu’un qui s’en va. Nous l’avons arrêté pour voir. Il avait cette argenterie.
– Et il vous a dit, interrompit l’évêque en souriant qu’elle lui avait été donnée par un vieux bonhomme de prêtre chez lequel il avait passé la nuit ? Je vois la chose. Et vous l’avez ramené ici ? C’est une méprise.
– Comme cela, reprit le brigadier, nous pouvons le laisser aller ?
– Sans doute, reprit l’évêque.
Les gendarmes lâchèrent Jean Valjean qui recula.
– Est-ce que c’est vrai qu’on me laisse ? dit-il d’une voix presque inarticulée et comme s’il parlait dans le sommeil.
– Oui, on te laisse, tu n’entends donc pas ? dit un gendarme.
– Mon ami, reprit l’évêque, avant de vous en aller, voici vos chandeliers. Prenez-les.
II alla à la cheminée, prit les deux flambeaux d’argent et les apporta à Jean Valjean. Les deux femmes le regardaient faire sans un mot, sans un geste, sans un regard qui pût déranger l’évêque. Jean Valjean tremblait de tous ses membres. Il prit les deux chandeliers machinalement et d’un air égaré.
– Maintenant, dit l’évêque, allez en paix. – À propos, quand vous reviendrez, mon ami, il est inutile de passer par le jardin. Vous pourrez toujours entrer et sortir par la porte de la rue. Elle n’est fermée qu’au loquet jour et nuit.
Puis se tournant vers la gendarmerie
– Messieurs, vous pouvez vous retirer.
Les gendarmes s’éloignèrent. Jean Valjean était comme un homme qui va s’évanouir. L’évêque s’approcha de lui, et lui dit à voix basse :
– N’oubliez pas, n’oubliez jamais que vous m’avez promis d’employer cet argent à devenir honnête homme.
Jean Valjean, qui n’avait aucun souvenir d’avoir rien promis, resta interdit. L’évêque avait appuyé sur ces paroles en les prononçant. Il reprit avec solennité :
– Jean Valjean, mon frère, vous n’appartenez plus au mal, mais au bien. C’est votre âme que je vous achète ; je la retire aux pensées noires et à l’esprit de perdition, et je la donne à Dieu.

Le silence d’encouragement

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Lorsque, diagnostiquant les erreurs ou les échecs de l’autre, je veux les lui dire avec précision – mais je me retiens de le faire, car je prends conscience que cela, au contraire de l’aider, pourrait définitivement le décourager devant un obstacle qui se présente ou le souvenir d’un échec, parce qu’il voit trop la difficulté, et ne voit plus ses possibilités de les surmonter. Par mon silence bienveillant, je ne rouvre pas les plaies passées, ni ne pointe les obstacles à venir, et je marque que l’autre a bien toutes les raisons d’espérer.

exemple

La professeur psychologue

En tant qu’enseignante, je suis chargée d’aider les étudiants dans la rédaction de leur mémoire. J’avais lu le mémoire d’une étudiante et je devais la rencontrer pour parler avec elle de son travail. Je trouvais que ce qu’elle avait fait était très pauvre, trop superficiel, sans cohérence, que cela manquait de logique et de finesse. En lisant son texte, je me disais qu’il serait bon de lui signifier tout cela de manière précise pour qu’elle puisse le corriger. Puis j’ai réfléchi aux effets que pouvaient produire mes paroles. Je me suis mise à sa place, j’ai repensé à mes expériences passées. Il m’était arrivé qu’un enseignant, avec la bonne intention de me corriger, m’ait listé toutes mes erreurs et incompétences. Je me rappelle quel effet cela avait eu sur moi. Je m’étais alors liquéfiée, sentie nulle, incompétente, définitivement incapable, bonne à rien. Pour mon élève, même si je ne la jugeais pas elle en tant que personne, que je ne faisais qu’évaluer son travail avec objectivité, même si mon intention était bonne (je voulais qu’elle s’améliore), en lui listant uniquement toutes ces réalités négatives, je risquais fort de la blesser et de la décourager. J’ai donc décidé de ne pas lui dire frontalement que son travail était très insuffisant et avait tous les défauts mentionnés précédemment. Je ne lui ai parlé que des aspects positifs de son mémoire et je lui ai expliqué comment elle pouvait améliorer son travail, en planifiant de revenir petit à petit sur les points à améliorer au fil des entrevues. Elle est repartie très contente, a réussi à mettre en pratique mes conseils et a fini par obtenir une bonne note à l’examen.

Le silence de non-ingérence bienveillante

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Lorsque l’on s’abstient du mot qui ferait basculer l’autre dans la décision d’un acte ou d’un jugement – conscient de la relativité de notre point de vue, et respectueux du cheminement que l’autre est seul à pouvoir et devoir faire afin que, par lui-même, et éventuellement dans un second temps avec mon aide, il construise sa propre décision, son propre jugement.

Le silence de vérité

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Lorsque dans une situation donnée, on brûle de dire une information fausse ou non confirmée, d’enjoliver une situation ou de minimiser un problème, afin d’induire en erreur, de mystifier, d’accuser et au bout du compte de servir notre intérêt immédiat aux dépens de l’intérêt de l’autre. Mais nous nous retenons de délivrer cette information, conscient des conséquences que cela pourrait avoir.


Note : les exemples sont rédigés à la première personne afin d’aider le lecteur à mieux s’y projeter. Des exemples seront ajoutés en fonction des retours des lecteurs. N’hésitez pas à poster vos exemples en commentaires.



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25 commentaires

  1. A. le 14 Nov 2020 à 11:16 1

    Merci pour cet article très intéressant. Je rends visite à ma mère octogénaire une fois par mois pendant 2-3 jours. En ces occasions je suis confronté toujours à la même situation : si d’un coté c’est une femme très généreuses qui est prête à milles sacrifices pour sa famille, elle est aussi affligée par un pessimisme essentiel qui se traduit par des propos angoissants sur tout ce qui a lieu et par une médisance continue, mélangée à des indiscrétions régulières.

    Ce qu’elle dit souille les personnes dont elle parle et si l’on l’écoute on se sent lourd. En général j’essaie de ne pas trop l’écouter, ou bien d’évoquer les qualités des gens dont elle parle. Cette fois-ci j’ai décidé chaque fois de changer de sujet de conversation. Et j’avoue que les choses se sont bien passées pendant 1-2 jours. Dès qu’elle médisait, je changeais de discours. Elle ne s’en rendait pas compte et elle oubliait de terminer sa médisance ou son indiscrétion.

    Hélas, à cause de mon manque d’attention par rapport à ce contexte difficile de flot constant de médisances et d’indiscrétions, au bout de 48 heures j’ai fini par être vaincu par mon soi impérieux et je lui ai lancé à la figure que j’ai été choqué par sa façon de parler. Puisqu’elle est dans la négation perpétuelle de ce problème je lui ai même fait remarquer que toute la famille était au courant de ce problème et qu’elle était la seule à ne pas le voir.

    J’en tire la leçon simple que quand on est confronté à un contexte où on est soumis à une pression donnée il faut bien s’y préparer à l’avance, garder l’attention et demander de l’aide.

    Il est intéressant de remarquer qu’après ce voyage je voulais en parler avec d’autres personnes, mais je m’en suis retenu pour ne pas tomber aussi dans la médisance (d’une médisante). En même temps je m’efforce de penser à tout le bien qu’elle fait et qu’elle m’a fait pour ne pas la « réduire » à ses défauts.

    1. A. Bis le 15 Nov 2020 à 22:48 1.1

      Vous décrivez vos difficultés avec votre mère et j’ai l’impression que vous parlez de ma situation. Ma mère m’énerve  pour des raisons similaires et il m’arrive de lui faire remarquer ses écarts (pessimisme, indiscrétion, …). J’ai compris que cela tendait ma mère, lui faisant se sentir jugée et mal à l’aise avec moi. Par exemple, lorsque je l’appelle ou arrive chez elle, elle entame souvent la conversation de manière cavalière en parlant de choses qui me semblent illogiques, incongrues voire déplacées … ça a le don de m’agacer, malgré mes bonnes résolutions, je me comporte mal avec elle et après je m’en veux.

      J’ai essayé de passer outre ses premières remarques et, au contraire, de plutôt commencer la discussion – avec enthousiasme et chaleur – en parlant de ma vie (enfants, travail, …). Je me suis rendu compte que cela me coûtait beaucoup car j’avais tendance à être froid avec ma mère et à être avare de détails sur ma vie.

      Après réflexion, je pense que c’est dû à un mélange d’orgueil (je m’indigne de ses points faibles plutôt que de m’occuper des miens) et d’ingratitude (j’ai pourtant conscience de tous les efforts et sacrifices qu’elle a réellement faits pour moi et les autres).

      Je ne sais pas si cela pourra s’appliquer à votre situation, mais cela me motive à ré-essayer d’adopter cette pratique.

      1. A. le 05 Déc 2020 à 9:17 1.1.1

        @A. bis – Merci de votre commentaire – je retiens notamment cette phrase « Je me suis rendu compte que cela me coûtait beaucoup car j’avais tendance à être froid avec ma mère et à être avare de détails sur ma vie. »

        Moi aussi j’ai tendance à être avare d’informations pas parce forcémment parce qu’elle m’agace, mais tout simplement parce que c’est dans ma nature.

        Puisque je partirai demain voir ma mère, j’essaierai de faire en sorte de parler longtemps de ses petits enfants, de ma femme, de notre vie etc..

    2. Ia le 21 Nov 2020 à 23:52 1.2

      Je ne sais pas si c’est lié, mais je souffre d’une intolérance vis à vis des « fautes » d’autrui. Je m’enflamme et devient une sorte de chevalier enragée, me sentant devoir oeuvrer pour la justice et le Bien. Dans ces élans, je perds ma raison, et serais capable de jeter quelqu’un aux flammes…que ce soit dans ma famille ou des actes de personnages publics.
      La seule chose qui m’alerte quand à mon tort ce sont mes émotions. Les paroles que je profère, l’indignation que je crie avec véhémence me paraissent un devoir.
      Mais je ne suis plus maître de moi même, je suis emportée et je suis enragée. Je ne peux m’arrêter et je ne suis pas capable d’avoir une vision plus large.
      Des sujets touchant à la dignité d’autrui, à la sécurité d’autrui etc me laisse perplexe quant à la retenu de mes propos.
      Je sens qu’il me manque des éléments pour savoir quelles paroles prononcer ou pas, quelles actions entreprendre ou pas. Je demande l’aide de Dieu, mais je sens que je n’ai tout simplement pas les moyens de savoir comment faire pour le moment. Je ne sais toujours pas, en regardant en arrière….alors, je crois, puisqu’il me manque encore des outils dans certaines situations extremes…il me reste me distancier. Ne rien dire. Mais me distancier. Tant que je n’ai pas la certitude des paroles justes ou des actions justes.
      Peut-être à l’avenir j’en saurais plus. Mais si mes émotions sont des indicateurs de mon soi- impérieux, il est évident qu’il y a un gros morceau là pour moi à comprendre et que je ne saisis pas encore.

      1. Mike le 06 Déc 2020 à 0:43 1.2.1

        Je trouve déjà excellent que vous en soyez consciente
        En m’analysant à la lumière des concepts développés par Bahram Elahi dans son ouvrage Le Guide pratique, je comprends que les émotions sont issues des pulsions d’adoration et pulsions de vérité voire du soi impérieux. Les premières doivent être canalisées grâce au développement de notre raison saine et nous permettre d’avoir des jugements de valeur bidimensionnels qui nous permettront de distinguer ce qui est utile ou non à notre destin spirituel.
        Si la pulsion vient du soi impérieux évidemment il faut la maîtriser, la dompter et comprendre quels sont les points faibles caractériels qui l’alimentent et qui utilisent cette pulsion pour entrer en guerre contre les autres…
        Pour dire simple, j’ai compris qu’il faut que je m’implique dans ma vie matérielle mais toujours avec un regard qui recherche en quoi la situation contribuera à mon développement spirituel

    3. mike le 25 Déc 2020 à 10:19 1.3

      Difficile de commenter les situations des autres et de se mettre à leur place mais comme pistes de réflexions personnelles et d’après mon vécu je dirais :
      1- S’assurer qu’il s’agit de réelles médisances et pas simplement de critiques.
      2 – Les personnes âgées ont du vécu et leurs critiques sont parfois constructives et on ne les écoute pas assez.
      3 – Leurs propos tenus à leurs enfants sont souvent liés à un problème d’angoisse intérieure qu’elles veulent indirectement nous livrer, ou une solitude que mon comportement n’arrive pas à combler.
      4 – Regarder mes propres manques par rapport à ce que je lui révèle : quel est mon comportement, ma sincérité en comparant avec ce que j’attendrais moi-même de mes enfants, suis-je exemplaire ?
      5- M’entrainer à ne pas être affecté par les propos des autres car cela peut révéler une faiblesse de ma part.
      6- Qu’est-ce qui me perturbe réellement dans ce qu’elle dit ? Impact personnel, social ?
      7- Si tout est impossible c’est quand même ma mère donc je la respecte et j’essaye de changer de sujet ou je me cantonne à subvenir à ses besoins et sa tranquillité en me mettant dans la peau de l’enfant qui veut faire le mieux possible son devoir sans rien attendre en retour.
      Bon courage.

  2. Louise le 14 Nov 2020 à 11:51 2

    Quel beau travail !
    Il va nous être très utile.
    Il est probable que certains ressentent, comme moi, une certaine anxiété devant l’immensité de la tâche. Qui ne connait chacune de ces situations où l’on s’est fait maintes fois piéger et où il y a de fortes chances qu’on se laisse encore piéger ! Elles sont si diverses et elles touchent à des réflexes si profondément inconscients ! Lacan, le psychanalyste, disait : « l’inconscient joue et gagne à tous les coups ». C’est vrai, tant qu’on ne gratte pas l’allumette (comme vous le dites) et qu’on ne commence pas à regarder à quoi ressemble le monstre tapi au fond de la grotte.
    Mais cette anxiété est aussi la possibilité d’une décision : celle d’être plus vigilant, plus attentif, plus prudent…
    L’évocation de l’alchimie (le silence d’or et le silence de plomb) est très « parlante » : c’est bien de cela qu’il s’agit, une transmutation de notre être.
    Votre article – comme tous ceux qu’on peut lire sur le site – sont précieux.
    Merci

  3. MH le 14 Nov 2020 à 14:09 3

    J’avoue que je ne sais jamais quand parler ou quand me taire…
    J’ai souvent observé le silence, par lâcheté, souvent, ou parce que je n’arrivais pas à savoir comment pouvoir m’exprimer sans blesser l’autre, parfois.
    J’ai eu une expérience satisfaisante, hier, car j’ai su amener une discussion qui m’était nécessaire, avec mon ami, mais depuis plusieurs mois, je n’osais pas aborder ce sujet, délicat.
    L’âge venant, une meilleure confiance en moi (et surtout d’estime de moi!), m’ont aidée à parler d’un sujet intime qui me pesait beaucoup.
    Cela a été constructif et m’a bien soulagée. Pour mon ami également, cette parole lui a été profitable.
    Est-ce le début d’une certaine « sagesse »?

  4. LA le 14 Nov 2020 à 20:47 4

    Depuis toujours il m’a été plus facile de me taire que de me défendre… mais il me semble que graduellement, je « comprends » mieux mes silences: cette certaine humilité innée, navrante parce qui’ issue de peur et de fierté mal placées, me permet maintenant une entente concrète de mes choix: « me » taire lorsqu’il s’agit de « faire taire » mon soi impérieux, et exprimer mon point de vue quand le résultat ne me profite pas personnellement. Ainsi, mon silence ne me pèse plus comme auparavant car je me rends compte que c’est un acte de contrôle géré «  in vivo » par ma raison saine, parce qu’ au plus profond de moi-même, je « sais » aussi que sans Sa guidance, et sans l’intention pure de vouloir continuer à progresser, j’aurais laissé le champ libre à l’ignorance et la déception de mon soi impérieux…quel périlleux voyage que cette vie là.

  5. kbld le 14 Nov 2020 à 23:11 5

    Il semble qu’il y a une approximation ici entre le silence (« se taire ») et le fait de « taire quelque chose ». Par exemple, l’évêque ment purement et simplement, même si de manière probablement légitime. Pour ma part, je sépare les deux : le fait de dire quelque chose que l’on considère comme faux, qui doit je crois être réservé à des circonstances exceptionnelles ( https://www.e-ostadelahi.fr/eoe-fr/sengager-a-dire-le-bien/#comment-256362 ) et le sujet principal de cet article qui concerne le fait de ne pas dire une chose que l’on considère être une vérité, que certains appellent mensonge, mais qui est un sujet dans lequel je crois qu’il n’y a pas vraiment de principe général. Mélanger les deux sujets pousse, je crois, à être beaucoup plus souple qu’il ne faut à propos du premier cas, au nom du second.
    L’histoire des chandeliers peut je crois être mis en parallèle avec l’histoire du jeune voleur de chaussures (https://www.e-ostadelahi.fr/eoe-fr/ostad-elahi-lhumanite-en-acte-et-lesprit-douverture/#comment-258030 ), sauf qu’Ostad Elahi, justement, ne ment à aucun moment. Il agit simplement extérieurement comme si le vol de chaussures dont il avait connaissance n’avait pas eu lieu.

  6. Mike le 19 Nov 2020 à 11:14 6

    c’est vraiment sympa votre approfondissement des définitions et situations pratiques, paroles et silences
    L’approche par onglet successifs est très didactique, cela évite l’effet pavé à lire quand on est fatigué et permet de découvrir de petits secrets progressivement comme de petits trésors ou le calendrier de l’avent 😉

    En tous les cas l’enseignante a bien raison de n’avoir cherché que le positif chez son élève et l’avoir encouragée à poursuivre son travail car je remercie toute ma vie ma sœur enseignante d’avoir toujours cru en moi par amour fraternel peut être ou empathie ou devoir de grande soeur malgré mes incompétences d’adolescent et état flegmatique détaché de tout…
    Nous jugeons trop les gens selon nos carcans éducatifs et pourtant il y a des pépites en chaque être humain; la jeunesse est un moment difficile on se pose pleins de questions d’ordre existentiel auxquelles nous n’avons pas forcément de réponse et malgré cela il faut rentrer dans un système qui peut paraître totalement déconnecté de nos aspirations les plus profondes. Les bonnes rencontres humaines sont tellement réconfortantes.

  7. Wlihelm le 23 Nov 2020 à 2:42 7

    Il y a une chose que j’ai expérimentée à plusieurs reprises : en gardant le silence lorsque je veux donner une opinion, porter un jugement, ou commenter quelque chose, cela m’aide à contrôler ma penser elle-même.
    Boileau disait que ce qui se conçoit bien s’énonce clairement. Peut-être peut-on l’interpréter ou le paraphraser en disant que la maîtrise du langage peut parfois contribuer à la maitrise de la pensée, et donc à la lutte contre le soi impérieux.
    En d’autres termes : je veux dire quelque chose de piquant, mais je m’abstiens de le dire. En m’imposant de me taire, j’ouvre la porte à contrôler et à reformer ma pensée elle-même en ce qu’elle avait de piquant.

    1. Bouboulina le 23 Nov 2020 à 23:22 7.1

      J’ai exactement la même expérience que vous. En se taisant, on prive le soi impérieux de l’un de ses moyens d’expression. Comme si la pulsion impérieuse, en comprenant qu’elle ne pourra pas s’exprimer, finit par se calmer.
      En ce moment, je teste une autre technique : quand je veux dire quelque chose, par exemple donner une information, faire un commentaire, je me demande : quelle est l’utilité de cette parole ? Cela m’a aidé dernièrement à écouter plus attentivement une personne de ma famille. La question n’était plus pour moi : qu’est-ce que j’ai envie de dire ? Mais qu’est-ce qui lui est utile d’entendre ? Ponctuellement, j’ai senti que cela nous rapprochait, que cela créait une affection d’un autre genre. A poursuivre donc…

      1. Mike le 30 Nov 2020 à 0:15 7.1.1

        Excellent merci

      2. narcisse le 31 Mar 2021 à 23:18 7.1.2

        Cette technique de se demander quelle serait l’utilité de la parole qu’on s’apprête à prononcer m’a bien aidée. Merci !

    2. mike le 25 Déc 2020 à 10:30 7.2

      Je dirais même plus mon cher W..
      En m’imposant de me taire, je ne laisse pas libre cours à mon soi impérieux, donc je n’augmente pas l’épaisse fumée qu’il produit et même j’arrive peut-être à entrevoir une petite lueur qui m’explique le pourquoi de cette pensée et sur quel trait de caractère je dois travailler…

  8. Marie le 29 Nov 2020 à 12:42 8

    Régulièrement ces derniers temps, je me suis trouvée dans une situation où une amie en situation de difficultés m’appelait. Je me demandais aussitôt comment et en quoi je pouvais l’aider. Je pensais en termes d’efficacité, et en réalité de façon égoïste à ma fatigue, mon manque de temps,…
    Du coup, je coupais plusieurs fois la parole, pour demander en quoi je pouvais être utile, tenter de donner des conseils,…
    Mais je me suis rendue compte qu’en réalité, la personne avait juste besoin de parler et d’être écoutée, entendue. Aussi, dans ces situations, j’ai compris que je devais simplement rester dans une écoute attentive et bienveillante.
    Hélas, cela m’est très difficile, le soi-impérieux s’impatiente: j’écoute de façon très distraite, je finis par interrompre en disant que la personne m’a déjà raconté la chose, que je suis pressée, fatiguée…
    Voilà un terrain de travail certain d’écoute attentive et bienveillante, qui passe par le silence

  9. K1-Alamout le 09 Déc 2020 à 5:55 9

    Bonjour, et mes remerciements pour cet article remarquable, très interpellant et dépouillé.

    Ma question et ma réaction se portent également sur « la/les silence(s) coupable(s) »; ou encore sur « la/les non-actions coupables »; surtout lorsque le contexte est multipartite, et qu’on se retrouve en face d’une action et d’une intervention extérieure; et/ou parole d’un intervenant en face de soi ou dans une assemblée; il faut alors au moins essayer d’évaluer la situation et choisir l’action/non-action, le silence ou l’intervention orale, etc.

    Est-ce qu’il serait possible de développer également ces sujets appuyés par des exemples?
    Ou de me référer à des textes déjà existants?

    De quelle manière peut-on acquérir l’habilité requise à comprendre/distinguer lorsque que cela relèverait du soi impérieux qui nous pousse à garder le silence ou à ne rien faire (coupable et complice)?

    Le sujet reste très délicat.

    Merci d’avance pour vos indications et pour quelques débuts de pistes.

  10. Mike le 20 Déc 2020 à 12:20 10

    Silence d’humilité :
    Il m’est arrivé récemment une situation de la sorte ; j’ai opéré il y a une dizaine de jours un policier qui nous avait trouvés fort compétents et sympathiques et qui s’était étonné en comparaison avec son quotidien d’une telle bienveillance dans le domaine médical. Un jour au niveau d’un croisement routier je rencontre des patrouilles de police qui gèrent une déviation routière pour une protection civile et qui occasionnait un petit bouchon. À quelques dizaines de mètres je perçois leur chef en pleine action, le fameux policier que j’avais opéré. Dans un premier élan j’ai eu envie de baisser ma vitre et de le saluer pour l’encourager puis une pensée m’est venue de me retenir car ma situation confortable dans mon 4×4 rutilant aurait pu générer une jalousie ou un jugement de sa part; j’ai donc refermé la vitre et passé mon chemin discrètement en suivant la file. Un sentiment de satisfaction accompagnait cet acte car je me suis rendu compte que sous couvert d’un certain élan de sympathie envers ce policier, un sentiment de frime était caché.

    1. Linda le 24 Déc 2020 à 3:30 10.1

      Je ne vous connais pas mes en vous lisant j’ai plutôt l’impression que vous aviez plutôt un sentiment de familiarité et de vouloir bien faire à l’égard de ce policier et à ce stade ce n’est pas mal ! Sauf si en le saluant vous vous mettiez en danger à ce croisement routier ou que vous dérangiez la circulation ou les agents.

      1. mike le 25 Déc 2020 à 10:01 10.1.1

        Merci. Oui, le sentiment était positif je pense et je ne me mettais pas en danger puisqu’on était dans un petit bouchon… mais en l’appelant j’aurais attiré le regard de tous ses collègues, il aurait peut être été dérangé aussi de se justifier : « c’est mon toubib, il m’a opéré » « ah oui de quoi ? » Alors qu’ils étaient en train de gérer la sécurité civile autour du tribunal, etc. Il aurait peut-être été dérangé et se serait senti obligé de venir vers moi, etc. etc.
        Si tous les patients qui m’apprécient venaient me saluer quand je travaille, ce serait l’enfer…
        S’il m’avait vu, je l’aurais salué évidemment.
        Dans cet évènement, j’ai freiné une impulsion naturelle qui pour moi me semblait être un élan de sympathie mais qui pour d’autre serait vue ou ressentie autrement et qui aurait pu empiéter sur leurs droits ou stimuler de mauvais sentiments.
        Il n’y a pas de hasard… chaque petit évènement de la vie permet de travailler sur soi et de se connaître un peu plus.

  11. Mike le 20 Déc 2020 à 13:48 11

    Pour l’exemple de délicatesse : bravo bravo bravo bravo !
    Cela m’a fait pleurer . Je pense qu’on n’est jamais assez conscient du bien que l’on peut faire aux autres avec ce genre d’acte.
    Merci pour votre exemple.

  12. KLR le 02 Mai 2021 à 3:52 12

    Je suis confrontée en ce moment à une injustice au sein de ma famille, qui engendre chez moi des pensées de rancoeur, et de colère. Je me demande comment faire pour utiliser le silence dans la pensée, car je suis assaillie par des ruminations négatives. Je ressens combien cela est néfaste, et a même des conséquences sur ma santé. Je me suis mis comme pratique de changer ma pensée en la tournant vers le divin, en demandant l’aide et en essayant de ressentir de la gratitude, mais c’est quelquefois difficile, car les pensées arrivent en flots….
    Voilà une autre utilisation du silence mais intérieure : installer un silence qui permette d’avoir présent le divin, et qui permette de nettoyer les pensées…
    Si vous avez des moyens ou des expériences à ce sujet, je suis preneuse !

    1. cogitons le 08 Mai 2021 à 0:03 12.1

      Situation certainement difficile… Le sentiment d’injustice… Je n’ai rien à dire de très original, si ce n’est des conseils pour moi même que je peux partager un peu… On peut essayer de se distancer soi-même de ses pensées. « Je ne suis pas mes pensées ». Des pensées viennent à moi, émergent dans ma conscience depuis les profondeurs. Je peux les observer, les toiser, les jauger… et décider de m’y identifier, de devenir elles, donc, de me laisser prendre, de les nourrir, de les renforcer… Ou au contraire, de ne pas m’y attacher, de les laisser passer, s’envoler comme des ballons dans le ciel. Ou retourner de là où elles viennent. Trouvez l’image, l’analogie qui fait sens pour vous. Je ne crois pas qu’on puisse vraiment « nettoyer » ses pensées. Plutôt, les laisser passer. Les saluer, mais garder ses distances. S’y laisser prendre ou pas. Le potentiel pour la rancoeur, par exemple, est toujours présent en nous. Comme une graine dans l’inconscient, dans la « réserve » de tous nos états et pensées potentiels. Prête à se manifester en nous, à nos émotions et à notre conscience. Il est possible qu’à force de ne pas nourrir telle ou telle type de pensée, ou de sentiment (les deux étant souvent liés), la graine même s’affaiblisse quelque peu. Ou se lasse même de pousser en nous. A chacun ou chacune de voir. Mais il me semble que vous avez franchi une étape essentielle, qui est d’être consciente de votre pensée, et du fait qu’elle est improductive, voire néfaste pour vous. Et puis il y a la question de l’acceptation… Accepter ce qui advient. Surtout quand on n’a pas de pouvoir sur les évènements. Ça c’est très difficile. Faire de son mieux pour tenter de remédier, si possible, et après, accepter. Les choses sont ce qu’elles sont. Je n’y puis rien. C’est un fait. Une réalité objective. Et me rendre malade n’est d’aucune utilité. C’est un travail mental, de réflexion, de méditation. De logique, aussi, en quelque sorte. De confiance et de foi, si telle est votre inclinaison. Un travail qu’il faut répéter. Le « contentement »… Facile à dire… La musique, notamment spirituelle, peut aider aussi, car elle nous parle au delà des mots et peut nous transporter ailleurs, nous enlever à nos tourments, le temps de reprendre son souffle. La danse, si vous dansez. Que les mouvement et la chimie du corps aident à lutter contre ce qui prend l’esprit. La promenade dans la nature en admirant ce qu’elle nous offre, en la respirant, en y trouvant du bonheur. Il y a certainement plein de moyens bien meilleurs que ceux-ci… Il me semble que « se connaître » c’est aussi trouver « ce qui marche pour nous », parvenir, à partir d’expériences personnelles, à mettre au point une méthode « sur mesure » à partir de principes plus généraux. C’est peut-être ça, devenir « les médecins de nos âmes »…

    2. kbld le 18 Mai 2021 à 20:28 12.2

      @KLR
      On peut essayer de trouver une sorte de « pensine » pour pouvoir regarder ses souvenirs et pensées de l’extérieur.
      Mettre ses idées par écrit peut largement aider à mieux les comprendre soi-même et à une telle prise de distance. Et juste lorsque je me suis mis à écrire ce commentaire avec l’intention de conseiller ceci en premier, je reçois une publicité pour un groupe Meetup parisien à distance sur l’« écriture thérapeutique » (alors que je ne suis pas du tout abonné à ceci ou à des choses liées et que je ne me souviens pas particulièrement d’avoir déjà entendu cette expression). Pourquoi pas pour vous ?
      Parler à quelqu’un peut aussi être très approprié. Il faut alors parler à quelqu’un qui ne jette pas de l’huile sur le feu, et n’est pas non dans la surmoralisation déplacée (lorsqu’elle est inutile), mais simplement interagit de manière positive. Un professionnel (de diverses professions), cela peut être bien aussi : la rémunération n’est pas corruptrice en soi, elle peut permettre que la personne soit là vraiment pour vous (puisque la contrepartie est réglée) et que vous ayez vraiment le droit de penser presque uniquement à vous, alors qu’à défaut, l’autre peut avoir tendance à vouloir avoir un intérêt personnel à la conversation et donc à être porté à la curiosité malveillante ou à la médisance ou il peut y avoir d’autres éléments perturbateurs. Par ailleurs, il y a aussi une question de compétence possiblement supérieure d’une personne dont c’est la profession.
      Il y a enfin l’équivalent du sortilège « riddikulus ». Dans cet article d’un professeur qui écrit souvent des choses très utiles à mon avis ( https://www.cerveauetpsycho.fr/sd/psychologie/rester-serein-dans-un-monde-incertain-21407.php ), celui-ci donne par exemple l’idée pour quelqu’un de licencié de chanter « j’ai perdu mon boulot » sur un air de « joyeux anniversaire » (il y a une autre suggestion dans la même lignée, mais je ne dévoile pas pour conserver un peu le droit d’auteur). Il explique bien que ce genre de choses permet une prise de distance, non pas pour faire illusion, mais au contraire pour être bien plus proche de la réalité des choses.

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